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Geneworld.net>Ficciones>Z-shadewolf>Une vie de mensonges.

01 - LA RENCONTRE QUI CHANGEA SA VIE. POR Z-SHADEWOLF

Sa jument filait à toute allure vers le bas de la colline. Elle était paniquée : qu'est-ce qui lui avait pris de lâcher les rênes ?! Maintenant, elle ne contrôlait plus rien et il n'y avait personne pour l'aider.
C'était une jeune fille d'une douzaine d'années, à la chevelure aussi noire que la crinière de sa monture. Elle portait une tenue d'équitation que son père avait fait faire sur mesure et venir de très loin. Quelque soit le prix à payer, il voulait toujours avoir le meilleur pour sa fille. Et la voilà, sa fille, qui était maintenant à la merci des caprices d'un cheval rebelle, qui tremblait pour sa vie.
Elle eût soudain une raison d'espérer : elle se rapprochait du village central, Centos, ainsi nommé en l'honneur du centaure à la volonté de fer. Quelqu'un réussirait sûrement à la tirer de ce mauvais pas. Mais, pour une raison quelconque, la jument d'ébène bifurqua et contourna les habitations. Elle continua sa course effrénée vers la forêt. La jeune fille avait beau s'époumoner à appeler à l'aide, personne ne l'entendait. Elle était prête à s'abandonner à sa terreur lorsqu'elle vit devant elle une maison isolée. Elle reprit ses appels, les mains en porte-voix, serrant l'animal entre ses jambes pour éviter la chute.
Plus loin jouait un groupe de chiots. La jument galopait droit dans leur direction. Lorsqu'ils virent l'étrange animal géant, ils coururent vers lui, jappant de joie face à cette découverte. La jument hennit, effrayée, et se cabra. La cavalière tomba en arrière, regardant ce qui avait causé cet arrêt si brutal : des petites boules de poils, brunes, noires, il lui sembla même en apercevoir une de couleur gris clair. Puis elle heurta le sol. Le choc lui coupa le souffle et l'assomma. Elle perdit connaissance.

Des petites choses sèches et rugueuses lui frottaient les joues et le front. Elle gémit - son corps lui faisait mal - et ouvrit lentement les yeux. Elle trouva devant elle cinq petites truffes noires et deux grands yeux marrons pétillant de curiosité. Elle entendit une voix de petit garçon excité :

" Dis, c'est vrai que c'est un ch'val le grand truc noir sur lequel t'étais ? "

Elle voulut se relever mais son dos la faisait souffrir. Elle entendit alors une voix plus grave, une voix de femme :

" Allons mon garçon, arrêtes de l'embêter et vas jouer dehors. "

" Oui, m'man. "

Le garçon et les chiots s'écartèrent, laissant apparaître un haut plafond blanc et une grande bibliothèque qui tapissait une petite partie d'un long mur.

" Tu vas bien, petite ? "

La désignée tourna légèrement la tête pour voir son interlocutrice : c'était une femme d'une cinquantaine d'années, quelque peu enrobée, au visage agréable et rassurant. Elle portait une robe verte à fleurs et tenait entre ses mains une bassine en acajou verni de laquelle dépassait une serviette blanche humide.
Elle tourna la tête de l'autre côté : un dossier de velours vermeille et une tapisserie portant un grand blason bleu entouré d'enjolivures s'offraient à son regard interrogateur.
Elle regarda de nouveau la femme, assise près d'elle à même le sol. Celle-ci reprit :

" Ne craint rien, tu es en sécurité. "

" Mais où suis-je ? " demanda l'enfant.

La femme sourit. Son expression était apaisante.

" Tu es chez moi, ma petite. "

" On est où ? Dans quel village ? "

" Notre maison n'est pas dans un village. " dit la femme aux cheveux noirs en posant la serviette mouillée sur le front de la jeune fille, " C'est la maison isolée, entre Centos et la forêt. "

La cavalière se redressa un peu. Elle souffrait moins. Elle balaya du regard l'immense pièce dans laquelle elle se trouvait : hormis la grande bibliothèque - qui rassemblait au moins trois cents ouvrages à première vue - la salle comprenait un second canapé et trois fauteuils de velours rouge, ainsi qu'un lustre argenté suspendu à une poutre qui coupait la pièce sur sa largeur. Sur le mur au-dessus d'elle, la tapisserie qu'elle avait aperçue portait le blason de la région, un triangle penché à l'intérieur duquel se dressaient les initiales des trois grands protecteurs qui avaient donné leurs noms aux villages. Enfin, par terre, un tapis bleu-nuit aux proportions démesurées couvrait la quasi-totalité de l'espace vide.
Elle se redressa un peu plus : elle vit derrière les fauteuils une porte-fenêtre donnant sur une cour au sol plat et parsemé d'herbe. Le garçon et les chiots s'y défoulaient, jappant joyeusement et riant aux éclats : ils se couraient les uns après les autres, se mêlaient en une grosse boule de poils et de vêtements. Ils avaient l'air de ne pouvoir être plus heureux.
Voyant l'intérêt de la nouvelle venue, la mère dit :

" C'est mon fils. Il a onze ans. Nous avons acheté ces chiots il y a quatre mois et depuis ils passent tout leur temps ensembles. "

L'invitée plissa les paupières. Un détail la gênait.

" J'ai vu un chiot au pelage gris tout à l'heure. Où est-il ? "

" Ah ? ... " fit la dame, visiblement mal à l'aise, " Nous n'en avons pas... Peut-être as-tu mal vu... "

Elle se tût. La jeune fille était pourtant certaine d'en avoir vu un. Enfin, elle croyait... Non, peut-être qu'elle n'avait juste pas bien vu la couleur de la fourrure, trop perturbée par sa chute... oui, c'était sûrement ça.
Elles restèrent silencieuses un moment, écoutant le joyeux chahut, puis la cavalière dit :

" Bon, il faudrait que je rentre... "

" Bien sûr, ma petite. Je vais appeler tes parents. "

Elle se leva, partit et revint avec un téléphone et le bottin de la commune. Tout en l'ouvrant, elle demanda :

" Quel est ton nom ? "

" Ratch. "

A l'entente de la réponse, le teint de la femme pâlit. Elle considérait maintenant la demoiselle avec un regard où se mêlaient la pitié et la stupeur.

" Qu'y a-t-il ? " interrogea cette dernière.

L'adulte se ressaisit :

" Rien, rien du tout. "

Elle referma le bottin, il était devenu inutile : tout le monde dans la vallée connaissait le numéro du domicile de la jeune fille, cette immense maison érigée à même le flanc de la colline. Et quoi de plus normal puisque son père était l'homme le plus riche et le plus influent à trente kilomètres à la ronde ?
La femme se retira avec le téléphone, la petite fille se leva et alla jusqu'à la porte-fenêtre : le garçon se roulait dans l'herbe avec ses compagnons canins. Elle abaissa la poignée et sentit une douce brise lui caresser le visage. Le garçon se leva et les chiots se précipitèrent sur la nouvelle venue, sautillant pour lui lécher les mains. Tandis qu'elle les serrait chacun dans ses bras, l'enfant s'adressa à elle :

" Alors, tu vas mieux ? T'as d'la chance que moi et les copains on t'ait trouvé si vite. "

" Les copains ? Quels copains ? "

Il désigna du doigt les cinq petites peluches ambulantes qui avaient recommencé à se battre entre elles. La jeune fille trouva pathétique qu'à son âge, il considère ces animaux comme des personnes. Après tout, une bête reste une bête.
Un hennissement résonna, elle leva la tête et vit, attachée au portail de la propriété, sa jument noire en train de piaffer d'impatience. Sa selle avait été retirée et posée à quelques mètres d'elle. Les deux enfants se dirigèrent vers la bête, lui le regard admiratif devant la taille de l'animal, elle l'air indigné tant elle ressentait de la rancune envers sa monture désobéissante. Le garçon posa sa main sur le flanc de l'animal et dit avec fierté :

" C'est maman qui l'a ramenée. Elle a toujours été forte pour que les chevaux ils l'écoutent. "

" Il aurait mieux valu pour elle que ta mère ne la ramène pas. Puisque cette sale bête m'a désobéi et m'a fait mal, je demanderai à mon père de la faire conduire à l'abattoir. "

Le gamin se tourna vers elle et cria :

" Non mais qu'est-c'que tu dis !? C'est pas de sa faute si t'as pas su la maîtriser ! Tu veux la tuer juste parc'qu'elle a voulu être libre rien qu'un peu de temps !? "

Il lui attrapa la main et la plaqua contre le ventre doux et chaud de la jument.

" Tu sens ça ? C'est son coeur ! C'est pas rien qu'une bête, c'est une cheval vivant ! T'as pas le droit de la tuer ! T'es vraiment rien qu'une sale petite fille ! "

Elle mit quelques secondes à assimiler ce qui venait de se passer. C'était la première fois qu'on osait lui parler comme ça, avec mépris, avec colère : cela lui avait fait un choc. Elle se ressaisit et arrache sa main de la poigne du petit garçon.

" Non mais comment oses-tu me parler comme ça ?! Je ne suis pas une sale petite fille, je m'appelle Erine ! E-RI-NE ! Et pour te le montrer, je vais maîtriser Aurorine et je reviendrai me moquer de toi assise sur son dos ! "

Erine fit volte-face et partit furieuse, le pas lourd. Le garçon la regarda s'éloigner, un sourire de vainqueur aux lèvres, puis se retourna vers Aurorine et reprit ses caresses.


Plus tard dans la journée, un petit carrosse rouge et jaune tiré par quatre chevaux à robe brune se présenta devant portail de la propriété. Tandis que le cocher attachait la jument noire à l'arrière, la petite fille se précipita vers l'habitacle. Elle grimpa sur la première marche puis se tourna vers la maison : elle repensait à ce sale petit garçon, si grossier, qui l'avait mise en colère. Et pourtant, elle sentait quelque chose de bizarre en elle, un peu comme lorsqu'elle pensait à sa mère, mais en beaucoup moins fort. Erine pénétra finalement dans la boite flamboyante, referma la porte, et le véhicule partit au petit trot.


Sur la terrasse qui couvrait les trois quarts du toit, deux silhouettes étaient penchées par-dessus la rambarde de pierre, dont chaque coin était soutenu par une gargouille aux allures de dragon.

" Dis maman, " prononça la plus petite des deux formes, " pourquoi elle est partie dans un carrosse ? C'est une princesse cette petite fille ? "

Ebouriffant tendrement les cheveux de la première, l'autre silhouette répondit :

" Oui, c'est ça. C'est une princesse. "

Puis son regard se perdit dans le lointain, vers l'endroit où le soleil plongeait entre les cimes des arbres.

" Une petite princesse... "


La petite Erine tint parole : non seulement elle ne fit pas exécuter Aurorine, mais elle s'efforça de la faire obéir à ses ordres. Ce fût un chemin long et difficile pour Erine d'apprendre à maîtriser sa monture, mais elle refusait de renoncer. A chaque fois qu'elle échouait, elle se remémorait le petit garçon insolent et cela lui suffisait toujours à trouver le courage de continuer. Après avoir essayé en vain la force, la fillette décida d'employer une toute autre approche : elle se fit douce avec sa jument, lui apportant des carottes, la brossant après chaque séance, lui caressant l'encolure chaque fois qu'elle suivait l'ordre de sa cavalière.
Devant l'efficacité de cette méthode, la petite fille commença à voir différemment le discours de l'enfant : peut-être n'avait-il pas eu tort, peut-être avait-elle été une sale petite fille. Mais plus maintenant. Si de simples petites attentions pouvaient changer à ce point son monde et le rendre plus agréable, alors elle arrêterait ses caprices, elle deviendrait gentille, elle ferait plaisir aux autres si cela ne lui coûtait rien.

Deux mois passèrent : Erine et Aurorine s'entendaient à présent à merveille. Mieux encore, la jument d'ébène obéissait maintenant totalement à sa cavalière, réagissant dès que celle dernière pressait du talon le flanc de l'animal ou basculait son poids vers l'arrière ou vers l'avant. Lors d'une petite balade, sans aucune raison particulière, Erine se souvint de la promesse qu'elle avait faite au petit garçon. Elle pressa les flancs d'Aurorine qui accéléra l'allure en direction de la maison isolée. La fillette songea à ce qu'elle allait faire : elle avait dit qu'elle reviendrait se moquer de lui, mais elle n'en avait plus vraiment envie. Elle aurait plutôt voulu le remercier et s'excuser de ce qu'elle avait dit.
Elles dépassèrent Centos. Au loin, les contours de la maison isolée se dessinaient sur le fond vert de la forêt.
Et puis, c'était l'ancienne Erine qui lui avait fait cette promesse stupide. Maintenant, elle était gentille. Oui, c'était décidé, lorsqu'elle le verrait elle s'excuserait et ils deviendraient amis. Elle aurait enfin quelqu'un pour jouer avec elle, quelqu'un qui parlerait des choses qu'elle aime, quelqu'un avec qui elle pourrait partager ses secrets.
L'équidée s'arrêta. Elles étaient arrivées devant le grand portail qui faisait face à la forêt. Plongée dans ses pensées, Erine n'avait même pas vu le trajet se faire. Elle mit pied à terre, caressa le naseau chaud de la jument et alla faire sonner la grande cloche de fer. Elle n'obtint aucune réponse. Elle re-sonna, toujours rien. Malgré ses nombreuses tentatives, elle ne réussit pas à escalader la grande porte, ni à passer à travers les lacunes que laissaient les hautes tiges de fer sombre qui la constituaient. Elle fit alors le tour de la propriété et s'arrêta près de la partie habitée. Mettant les mains en porte-voix, elle appela la mère et le petit garçon. Elle appela, appela, mais elle n'entendit rien, pas même l'aboiement d'un des chiots. La demeure restait désespérément silencieuse.
Elle s'avoua finalement vaincue et, montée sur Aurorine, elle repartit tristement, la larme à l'oeil : tous ses rêves, tous ses espoirs d'une vie normale venaient d'être engloutis par le silence pesant de la maison isolée.

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