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Geneworld.net>Ficciones>Z-shadewolf>Une vie de mensonges.

10 - CHACUN DE SON CÔTÉ ; LUCY POR Z-SHADEWOLF

" Ca va ? Tu te sens mieux ? "

Erine déposa le chiffon imbibé d'eau glacée sur le front brûlant de Lubio. Il avait une fièvre terrible.

" Mais oui, j'ai juste un peu chaud. Tout va bien... "

" Tout va bien !? Non mais tu as vu ce que cette chose t'as fait !? "

" Tu parles de l'Ogmis ? "

" Je parle de... ça ! " dit-elle en pointant furieusement du doigt l'arme qu'elle avait jetée à l'autre bout de la pièce après avoir ranimé son ami.

Le garçon ricana et grimaça de douleur. Erine souleva son t-shirt et cria de stupeur : un énorme bleu violacé, d'une quinzaine de centimètres d'envergure, s'étalait sur le milieu de la poitrine du blessé.

" Mon dieu... C'est horrible... "

" Mais non, voyons. " répondit Lubio en souriant, " Ce n'est r... "

*SBAAAF*

Erine le gifla de toutes ses forces.

" CE N'EST PAS RIEN ! " hurla-t-elle les larmes aux yeux, " COMMENT AS-TU PU ME FAIRE CA ?! POURQUOI !? REPONDS ! "

Elle leva sa main gauche pour le gifler encore, mais il retint fermement son poignet. Il se redressa un peu, serrant les dents pour faire taire sa douleur, et la regarda d'un air sévère.
Même s'il l'avait lâchée, Erine n'aurait pas pu abattre sa main tant ce regard la vidait de ses forces et tant elle se sentait coupable.
De sa main libre, Lubio la prit par les épaules et l'amena contre lui. La jeune fille sentit son coeur se gonfler de tristesse.

" Je devais le faire, et tu sais pourquoi. " dit le garçon d'une voix douce, " Il le fallait. "

Il la maintint encore contre lui pendant plusieurs secondes, puis la relâcha.

" Vas-y. "

Le visage d'Erine se figea dans une expression de stupeur.

" « Vas-y » ? Où ? "

Le garçon tourna son regard vers le mur.

" Ne me ménage pas parce que je suis blessé. Je t'ai raconté tout ça en sachant parfaitement où cela me conduirait. Rentre chez toi. Rentre, et oublie-moi. "

Une nouvelle larme parcourut la joue de la jeune fille.

" Je... je ne comprends pas... Pourquoi ? "

Il ne répondit pas, le visage toujours tourné vers le mur portant la tapisserie bleue.

" Lubio, pourquoi ? "

" Pars. Maintenant. Ne reviens plus. "

" Non ! Je ne veux pas ! " dit son amie d'une voix forte en l'attrapant par les épaules, " Je ne te laisserai pas ! Tu es mon seul ami, la seule personne que j'ai jamais aimée ! Je refuse ! "

" Pars ! " cria Lubio en se retournant subitement vers elle.

Erine vit alors la douleur de son regard. Les larmes qui vacillaient dans cet oeil à l'iris marron ne pouvaient pas la tromper : lui non plus ne voulait pas qu'elle s'en aille.
Elle plaqua sa main droite sur la contusion et appuya, forçant le garçon, qui ne pu retenir un petit cri de douleur, à se rallonger sur le sol de la bibliothèque.

" Que tu le veuilles ou non, " dit-elle en mettant son autre main sur la blessure, " je reste ici. Tu as besoin de moi, tu as besoin d'aimer et d'être aimé autant que n'importe qui. Tu ne te débarrasseras pas de moi comme ça. "

Il ne répondit rien, se renfermant dans un mutisme impassible. La jeune fille ne supportait plus cette réaction puérile, elle ne supportait plus qu'il l'ignore.

" Ecoute-moi ! Regarde-moi ! " explosa-t-elle en appuyant de tout son poids sur le torse meurtri.

Il ne cilla même pas. Elle voulait lui faire mal, elle voulait qu'il réagisse, d'une façon ou d'une autre.

" Je t'ai dit de me regarder ! " cria-t-elle en frappant le tronc du garçon, " Tu m'entends !? Réponds-moi, chien ! Moins que rien ! Orphelin ! Espèce de... espèce de... de bâtard ! "

Erine n'eut pas le temps de se rendre compte de ses paroles que les doigts de Lubio s'abattirent sur sa joue avec violence. En un instant, il s'était relevé et lui avait fait face, le visage déformé par une fureur sauvage, une lueur meurtrière dans le regard.
La jeune fille se leva et partit précipitamment, le visage en feu, sans se retourner.

" Je te déteste ! " cria-t-elle en passant la porte-fenêtre.

Elle était si choquée et tellement en colère qu'elle ne remarqua même pas les chiennes lui tourner autour lorsqu'elle traversa la cour intérieure. Puis elle passa le portail et envoya de toutes ses forces la grille rejoindre sa jumelle.
Dans la bibliothèque, Lubio se rallongea, la tête dans les mains, et hurla toute sa rage et tout son désespoir. Dehors, les chiennes mêlèrent leurs voix à celle de leur maître.

*******************************************************************

" C'est une excitation sans commune mesure qui a envahit la plaine d'Emeraude en ce troisième Dotéris du mois de Quadrias : tous attendent avec impatience l'arrivée de nos vaillants soldats, revenus victorieux de l'affrontement éclair du mois dernier dans les terres de l'Est. Le défilé d'honneur débutera à Edwenge, puis traversera la campagne jusqu’au trio des villages des Héros, lieu où les Trinités seront félicitées par le Marquis Ratch en personne, pour finalement s'achever... "

*clic*

" ... milliers de personnes s'amassent le long du parcours du défilé : certaines ont même réservé une place dans la rase campagne pour pouvoir apercevoir nos héros nationaux. En ville, les préparatifs de dernière minute mobilisent toute la population : chacun souhaite mettre la main à la pâte pour fêter... "

*clic*

Lubio éteignit la radio posée près de lui sur son lit. Si les deux chaines principales couvraient l'évènement, il ne faisait aucun doute que toutes le faisaient également.
Il se frotta le visage en grommelant, il détestait entendre ce genre de propagande dès le réveil, et pivota sur la droite, faisant face à l'une de ses chiennes. Celle-ci avait pris pour habitude depuis quelques temps de venir le réveiller chaque matin et de rester à son côté jusqu'à ce qu'il se décide à se lever.
Et comme chaque matin, le garçon sourit, se pencha vers sa bête et lui murmura en lui caressant les oreilles :

" Ca va, je me lève. Tu peux aller jouer Ema. "

La chienne lui répondit comme à son habitude par une volée de coups de langue affectueux sur le visage puis s'en alla par la porte entrouverte. Son maître se leva péniblement, s'étira et s'approcha de la grande fenêtre qui donnait sur la cour de sa demeure. Il aperçut Emodie et Emeria, qu'il reconnut à leurs pelages plus foncés au bout de la queue et au niveau du garrot, qui se chamaillaient joyeusement au milieu de la pelouse sous le regard d'Emune, couchée en sphinx près du mur de pierre frais qui délimitait la propriété.
Lubio sourit tendrement, fit volte-face et se rendit dans la salle de bain.

*******************************************************************

" Mademoiselle. " appela la domestique en tirant les rideaux violets, " Mademoiselle, il faut vous lever. Il est presque dix heures. "

Erine grogna, éblouie par la lumière crue du début de l'Eté, et enfouit sa tête sous ses oreillers. Elle ne voulait pas être dérangée, elle ne voulait pas être réveillée : elle voulait retourner dans ses rêves, dans ces univers oniriques où elle se sentait si bien, dans ces réalités où elle pouvait encore le voir et le toucher.
La domestique tira la couette; la jeune fille se recroquevilla, cherchant à retrouver le sommeil auquel elle avait été si brutalement arrachée. Mais elle n'y arrivait pas... La vraie réalité la rattrapait, la harcelait, l'enchainait de plus en plus dans ce monde de faux-semblants, dans ce monde de solitude, dans ce monde où elle et lui n'existaient plus et n'avaient peut-être même jamais existés.
Erine abandonna sa lutte désespérée et se leva. Elle s'approcha de la petite table, placée de l'autre côté de sa chambre, s'assit à même le sol et entama son petit déjeuner sans conviction. A chaque bouchée, elle avait de plus en plus envie de pleurer. Non seulement à cause de ce douloureux de solitude qui lui transperçait la poitrine, mais aussi à cause de l'horrible monotonie de sa vie : tous les matins, depuis plus d'un mois, elle répétait inlassablement les mêmes gestes. Depuis qu'elle avait perdu l'espoir que son ami ne la rappelle, les jours se suivaient et se ressemblaient.
La jeune fille aurait tant aimé faire quelque chose de différent, quelque chose d'inhabituel, quelque chose de fou... Mais elle n'en avait pas la force. Sa volonté semblait brisée, elle n'avait plus aucun désir d'agir, comme si elle s'était résignée à subir la vie.
Une fois son repas achevé, elle se dirigea vers la salle de bain et, après avoir ôté son pyjama de satin bordeaux, se laissa glisser dans l'eau chaude de son bain. Elle essaya de se relaxer, de se détendre, mais rien ne semblait pouvoir l'apaiser. Elle avait d'abord cru que sa douleur s'estomperait avec le temps mais, plus celui-ci passait, plus Erine avait mal. La seule chose qui aurait pu la soulager, c'aurait été de pouvoir confier son histoire à quelqu'un... Mais elle ne le pouvait pas : malgré tout, elle se sentait responsable de Lubio et voulait le protéger.
La jeune fille tenta en vain de chasser ses fantômes jusqu'à ce que ses doigts soient fripés, puis lava sa chevelure d'ébène et alla se préparer pour assister son père lors des évènements de la journée.

*******************************************************************

Lubio sortit de la salle de bain, une serviette autour de la taille et une autre sur la tête. Il sursauta de frayeur, manquant de perdre le tissu qui masquait sa nudité : la chienne au museau sombre se tenait face à lui, immobile, au milieu de la pièce. Il porta sa main au torse.

" Emily... " soupira-t-il, " tu comptes me faire le coup à chaque fois ? "

L'animal ne bougea pas, n'eut aucune réaction à l'entente de son nom : il y avait quelque chose de bizarre.
C'est alors que le garçon fut traversé par un vent glacé. Ils n'étaient pas seuls : il sentait une autre présence, toute proche, juste derrière la porte entrebâillée qui donnait sur le reste de la maison.

" Entrez. " ordonna-t-il froidement.

Le panneau de bois s'écarta lentement en grinçant. Une demi-douzaine de personnes entrèrent et se placèrent face à Lubio. Quatre femmes, deux hommes. Ils portaient tous à la ceinture un Ogmis du même modèle que celui du garçon. Ce dernier s'avança jusqu'à Emily qui regardait les nouveaux venus en chien de faïence, lui murmura quelque chose à l'oreille et ferma la porte derrière la chienne lorsqu'elle fut sortie de la chambre. Il resta ensuite les mains plaquées contre le bois laqué, tournant le dos à ses invités forcés.
Il n'en pouvait plus. Il en avait plus qu'assez, assez de ce fardeau, assez de cette vie. Pourquoi lui ? Qu'avait-il fait de mal pour devoir supporter tout ça ? Pourquoi ne le laissait-on pas mourir ?

" Ca a commencé. " dit une des femmes.

" Je sais. " répondit Lubio.

" Tu sais ce que tu dois faire. " fit l'un des hommes.

" Je sais. "

" Tu ferais mieux de laisser tomber. " affirma une autre femme d'une voix mal assurée, " Pour le bien de tous. "

" Qu'entends-tu par là, Lucy ? " grinça l'hôte d'un ton menaçant en se tournant vers elle.

La jeune femme aux cheveux courts et blonds détourna son regard, visiblement apeurée, et se mit à triturer le bas de son blouson noir pour se rassurer.

" Du calme Lubio. " intervint sa voisine, une brune plus mûre, " Elle ne fait que dire ce que nous pensons tous. "

" Cela fait des semaines que tu n'assumes plus tes fonctions. " enchérit le second homme, " Au point que nous, Gardiens des régions intérieures, devons venir nous acquitter nous-mêmes de ces tâches. "

" Et alors ?! " vociféra le garçon, " Je ne vous ai rien demandé ! J'en ai assez, assez de cette situation, assez d'être seul ! "

Il y eut un long moment de silence durant lequel les six individus se jetèrent des regards inquiets. Lubio avait visiblement les nerfs à vif. Ce dernier profita de cette pause pour se diriger vers sa commode et, après avoir lancé ses serviettes sur son lit, il s’habilla. Il ne semblait nullement dérangé par la présence des Gardiens qui regardaient son corps nu, certains d’un air dégoûté, d’autres avec indifférence ou gêne.
L’ainée du groupe, une femme rousse d’une cinquantaine d’années, brisa le silence pesant de sa voix douce :

" Lubio… Nous ne nions pas être ici de notre propre volonté. Nous savons ce que tu ressens : nous sommes tous, ou presque, passés par là. " dit-elle en regardant en coin Lucy qui, les joues rouges, avait détourné le regard face à la nudité du garçon, " Mais tu n’es pas seul. Nous sommes ta famille. "

Le garçon donna un puissant coup de poing sur la commode qui trembla sous le choc. Sa réaction fut si rapide et si violente que Lucy sursauta et que la moitié des Gardiens portèrent instinctivement la main à l’étui de leur Ogmis.

" V…vous !? " explosa-t-il, " Ma « famille » !? Où étiez-vous lorsque j’ai eu besoin d’aide !? Vous m’avez rejeté, comme tous les autres, et vous espérez encore pouvoir m’utiliser à votre guise !? Vous croyez vraiment me tenir encore en laisse !? "

Lucy avait les larmes aux yeux, les autres femmes semblaient choquées par tant d’agressivité. L’homme le plus âgé fit un pas en avant, la main toujours posée sur son arme.

" Fais attention à tes paroles, sale gosse. " le menaça-t-il, " N’oublie pas qui nous sommes et ce que tu es. "

Lubio ne se tut pas pour autant. D’aucuns auraient pris ça pour du courage, d’autres pour de la folie, mais la vérité était tout autre : il était au paroxysme de l’épuisement, il n’arrivait plus à gérer son stress et sa colère.

" Je sais parfaitement ce que je suis : je suis un Gardien ! Je détiens la Vérité et la vie de milliers d’humains. Mais la seule vie que je souhaite préserver, c’est celle de ma luciole ! Tout ce que je souhaitais, c’était rester avec elle pour toujours, mais je l’ai perdue ! A cause de ce que je suis ! A cause de vous ! "

Il désigna la porte d’un geste énergique.

" Sortez ! "

Les invités s’exécutèrent, outrés, et s’en allèrent en file indienne, l’ainée ouvrant la marche en bombant fièrement le torse, Lucy la fermant en pleurant silencieusement.

" Lucy ! " l’interpela le garçon juste avant qu’elle ne franchisse l’ouverture.

Elle le regarda l’air craintif, les yeux encore humides.

" Ferme la porte. "

La jeune femme hésita, jeta un regard apeuré à ses compagnons qui l’attendaient dans le couloir, puis poussa lentement le panneau de bois devant elle. Lubio s’approcha ; elle attendit, tremblant presque tant sa crainte et son appréhension étaient grandes. Il se plaça face à elle, le visage à quelques centimètres du sien. Bien qu’ils aient presque la même taille, Lucy avait l’impression de se trouver face à un géant. Il leva la main vers son visage, elle ferma les yeux. Elle avait trop peur pour se protéger, trop peur pour regarder le danger en face.
La jeune femme se sentit soudain tirée vers l’avant. Son corps se pressa avec douceur contre celui du garçon. Elle rouvrit les yeux, sa peur estompée, ses craintes envolées.

" Je… suis désolé, Lucy. " lui murmura Lubio à l’oreille.

Sa voix était triste et pleine de remords.

" Je ne voulais pas être si méchant… Pas avec toi. Tu es mon amie… Tu es ma famille… "

Le coeur de Lucy était tiraillé entre la peine que lui faisait le garçon et la joie qu’elle éprouvait en sachant qu’il l’acceptait. Elle l’enlaça à son tour, à la fois pour le réconforter et pour le remercier.
Elle sourit en rougissant. Elle se sentait si bien dans ses bras, si heureuse de sentir leurs deux coeurs battre. Elle avait l'impression d'être invulnérable, comme enveloppée, protégée par l'aura de puissance qui émanait du corps du garçon. Elle adorait cette sensation, elle qui était tombée amoureuse de Lubio durant l'hiver dernier, lorsqu'elle l'avait vu pour la première fois. Jamais auparavant elle ne s'était sentie si fébrile, si fragile, et lui, qui était pourtant de trois ans plus jeune qu'elle, dégageait une telle image de force et de volonté qu'il n'avait depuis cessé de hanter ses rêves. Elle aurait tant souhaité que cet instant dure éternellement.

" ... cy ? Hé, Lucy, tu m'entends ? "

La voix de son amant la tira de sa rêverie. Elle avait perdu l'espace d'un instant le fil de la réalité, elle ne l'avait même pas senti relâcher son étreinte. La jeune femme libéra brusquement le corps du garçon de l'étau de ses bras et fit un pas rapide en arrière, rouge d'excitation et de honte.

" Euh... Pardon. Je réfléchissais. " mentit-elle le coeur battant la chamade, " Tu disais ? "

" As-tu apporté les... "

" Oui. " le coupa-t-elle, " Oui, bien sûr. "

Lucy plongea sa main droite dans une des poches intérieures de son gros blouson noir et en extirpa un écrin en métal argenté d'une quinzaine de centimètres de côté. Elle fit de même de sa main gauche et, de son autre poche, sortit une dizaine de petites boites blanches rectangulaires qui auraient aisément pu tenir dans sa paume. Elle les remit à Lubio qui déposa le tout sur son sommier.

" Tu... Tu ne vérifies pas ? " demanda-t-elle avec étonnement.

" Non. " lui répondit-il en ébouriffant sa chevelure blonde, " Tu as su gagner mon amitié, j'ai une confiance aveugle en toi. "

La jeune femme apprécia cette marque d'affection plus que de raison.
Elle se trouvait pitoyable : dès qu'elle était en sa présence, elle se comportait comme une petite fille. Mais elle était quand même heureuse.

" Bien... " fit Lubio après une minute de silence, " Tu devrais y aller... Les autres t'attendent. "

" Ou... Oui, " affirma Lucy en baissant la tête d'un air triste, " tu as raison. "

Elle abaissa la poignée de la porte, se retourna vivement pour embrasser le garçon sur la joue et se précipita dans l'escalier avant qu'il n'ait eu le temps de comprendre ce qui s'était passé.
Elle ralentit le pas. Elle savait qu'il ne comprendrait pas. Elle savait que, malgré l'intelligence qui le caractérisait comme tous les Gardiens, il ne comprendrait jamais. Pas plus qu'il n'avait compris tous les actes suggestifs, tous les mots à demi-cachés, toutes les confessions intimes qu'elle lui avait faites durant ces deux longs mois d'hiver. Il avait beau être mûr pour son âge, il n'y connaissait rien quant à l'interprétation des messages du coeur.
La vision de Lucy commençait à se brouiller : ses yeux étaient emplis de larmes amères. Elle se remémorait toutes ces tentatives, toutes ces vagues de sentiments qu'elle avait envoyé à Lubio et qui, chaque fois, s'étaient écrasées sur les écluses de son coeur. Elle se remémorait chacune de leurs discussions au cours desquelles il lui parlait de cette fille qui l'attendait, de son sourire aussi éblouissant que le soleil, de sa longue chevelure aussi noire et fraîche que la nuit, de ses yeux aussi bleus et profonds que le ciel.
La jeune femme arriva au bas de l'escalier et aperçut du coin de l'oeil son reflet dans un miroir. Elle s'arrêta pour mieux se regarder. Quelles chances pouvait-elle avoir avec ces cheveux désespérément blonds comme les blés, avec ces iris d'une éclatante couleur noisette qui la narguaient constamment ? Aucune. Il l'avait dit lui-même : « tu es mon amie »... qu'y avait-il de plus à dire ? Rien.
Lucy parvint finalement à la porte d'entrée, le coeur brisé. Elle savait qu'à présent, le bonheur lui resterait à jamais inaccessible. Mais elle continuerait quand même d'aider Lubio car, si lui pouvait être heureux, alors elle le serait aussi d'une certaine façon.
Elle l'aiderait avec son amie tout en continuant de l'aimer dans le secret le plus absolu. Quoi de plus facile ? Avant d'être femme, elle était Gardienne : mentir et vivre dans le secret étaient les seules choses qu'on lui avait jamais apprises et qu'elle devrait jamais faire. Une vie de mensonges : tel était le fardeau de tout les Gardiens.
Elle sécha ses larmes, il fallait sauver les apparences, et sortit dans la cour lumineuse.

" Excusez-moi de vous avoir fait attendre. " clama-t-elle joyeusement en s'inclinant devant ses cinq camarades.

Ces derniers se mirent en route, Lucy se tourna vers la fenêtre de la chambre de Lubio. Il était là, derrière la vitre, la main sur la joue, et la regardait d'un air intrigué.

" Courage. " pensa-t-elle en sentant son coeur se déchirer dans sa poitrine.

Elle réussit à masquer sa douleur et offrit à son amour le plus beau sourire qu'elle n'avait jamais offert. Puis, après un dernier geste de la main, elle rejoignit le reste du groupe en courant, laissant derrière elle deux trainées brillantes qui s'évaporèrent au soleil.

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