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Geneworld.net>Ficciones>Z-shadewolf>Une vie de mensonges.

11 - " CHAQUE FIN EST UN COMMENCEMENT. " POR Z-SHADEWOLF

*Chant militaire*
" Tous ensemble, tous unis,
faisons face à notre enn'mi.
Protégeons notre famille, protégeons tous nos amis,
du sombre mal qui prospère dans le noir de la nuit.
Allons Trinités, allons compagnons,
comme les Trois notre vie donnons.
Battons-nous pour nos enfants,
restons unis par ce chant. "

Les tambours battaient le pas des Trinités qui avançaient par colonne en saluant la foule qui les acclamait. Elles remontaient la rue principale de Centos qui traversait le village d'Ouest en Est en passant devant la statue du protecteur, puis saluaient le Marquis et sa fille qui les bénissaient de leur loge, pour finalement retourner d'où elles venaient par l'autre versant de la colline.
Les hommes les admiraient, les femmes les adoraient, les enfants étaient émerveillés. Ces soldats avaient l'air de héros avec leurs beaux uniformes verts et noirs et leurs casques surmontés de petits triangles pointus. Mais Erine n'était pas dupe : les vrais héros étaient ces centaines d'hommes et de femmes qui avaient péri dans ces lointaines terres de l'Est, ces centaines de personnes qui ne défilaient pas aujourd'hui, ces centaines d'êtres dont les noms, inscrits en lettres dorées sur une dizaine de bannières noires, défilaient en fin de cortège.
Après que les dernières Trinités eurent quitté le village et que la foule se soit dispersée, le Marquis et sa fille descendirent de leur estrade et rejoignirent le manoir en carrosse. Une fois à l'intérieur, ils se séparèrent : lui alla dans son bureau où l'attendaient de nombreux documents nécessitant sa signature, elle se dirigea vers sa chambre afin de se débarrasser de cette robe de poupée qu'elle exécrait tant.
Erine enfila une tunique verte et un pantalon de toile et s'allongea sur son lit, regardant le ciel parsemé de nuages à travers la porte-fenêtre qui donnait sur son balcon. Elle se mit à rêvasser, l'air mélancolique, et comme d'habitude ses rêveries dirigèrent son esprit vers celui qu'elle avait aimé.

" Ce ciel... es-tu en train de l'admirer, toi aussi ? " pensa-t-elle le coeur serré par un douloureux espoir.

La jeune fille continua de regarder les nuages pendant plusieurs minutes puis, soupirant d'ennui, elle se dirigea vers la porte de la demeure, sortit et descendit en direction de Centos.


" J'ai peur... Si tu savais à quel point j'ai peur... Je ne veux pas que tu meures, je ne veux pas te perdre encore ! "

L'homme pleurait à chaudes larmes, la tête posée contre le buste de son amie, ignorant toute idée de fierté et de bienséance. La femme à la longue chevelure d'or sourit et lui murmura d'un ton apaisant :

" Ne pleure pas, je t'en prie. Je ne vais pas mourir. Je vais juste... fusionner avec ce monde. C'est le seul moyen de le sauver, de vous sauver tout les deux. "

" Mais je me fiche de ma survie ou de celle de ce monde inhumain ! Je veux que tu restes avec moi ! Je... je t'aime... "

La femme sourit de nouveau, une larme perla sur sa joue.

" Moi aussi je t'aime. Je t'ai toujours aimé, même si je ne te l'ai jamais dit.
C'est pour ça que je veux sauver ce monde : pour que tu puisses y vivre heureux et longtemps. "

" Mais... Mais sans toi, je ne veux pas vivre vieux ! Sans toi, je ne pourrai pas être heureux ! "

Il se redressa un peu, plongeant son regard dans ces yeux bleus qui le fixaient avec tendresse.

" Te souviens-tu de cette histoire que j'aime tant, l'histoire de cette étoile tombée amoureuse d'un humain ? " demanda la femme aux longs cheveux blonds, " Elle me faisait pleurer à chaque fois que je l'entendais parce qu'elle me rappelait notre propre histoire. "

Son ami acquiesça tristement.

" Te souviens-tu de ce qu'avait dit l'étoile avant de s'éteindre ? "

L'homme resta silencieux un long moment puis, les yeux baignés de larmes, il récita :

" « Ne »... « Ne pleure pas mon départ, ce monde n'était pas fait pour moi. Toi, tu y as ta place, alors continue d'y vivre pour nous deux.
Ne me regrette pas car, tant que tu te souviendras de moi, je serais toujours à tes côtés. » "

Les deux compagnons se firent face, le coeur déchiré par une tourmente amer et désespérée. Leurs visages s'approchèrent lentement l'un de l'autre et leurs lèvres s'étreignirent en cette douce caresse dont ils avaient chacun si souvent rêvée. Puis, peu à peu, le corps de la femme s'éleva dans les airs et se mit à irradier d'une lueur bleue sacrée.

" On dirait... que le moment de se dire au revoir est venu... "

L'homme ne dit rien, la tête levée vers son amie, et regarda impuissant son corps s'évanouir doucement en laissant place à une poussière d'étoile scintillante.

" Merci... " murmura la voix de la femme depuis le néant.


Erine et les autres spectateurs sortirent du cinéma en silence. Elle avait le coeur gonflé par l'émotion de la scène finale du film. Elle avait été si attristée par cet amour réciproque et pourtant inavoué qu'elle n'avait pu se retenir de pleurer lorsque l'héroïne s'étai sacrifiée. D'ailleurs, elle n'était pas la seule : toutes les autres personnes ayant assisté à la projection avait eu la même réaction, le même sentiment.
La jeune fille s'arrêta, se laissant volontairement doubler par les autres spectateurs, et les observa. Il n'y avait que des couples, certains jeunes, d'autres vieux, mais personne n'était venu voir ce film seul à part elle. Elle se sentit à la fois peinée et jalouse : elle aurait tant voulu être avec quelqu'un contre qui se consoler, elle aussi. Mais elle était seule, perdue, sans personne à son bras pour la réconforter, sans personne pour prendre soin d'elle. Certes, son père faisait un peu plus attention à elle depuis quelques semaines, mais cela n lui suffisait pas. Cela ne lui suffisait plus, pas après ce qu'elle avait connu avec Lubio : c'était ce genre d'attention dont elle avait besoin à présent, ce genre affection, rien d'autre. Mais, et il faudrait bien qu'elle s'y fasse un jour, le garçon n'était plus là. Il l'avait abandonnée, il l'avait rejetée loin de sa vie après lui avoir fait miroiter un bonheur éternel et inespéré, ne laissant qu'un grand vide dans son coeur et à ses côtés.
Et pourtant... elle n'arrivait pas à l'oublier... Elle n'arrivait pas à le haïr... son premier et unique amour...
Le ventre d'Erine grogna, la ramenant à la réalité. Elle passa sa main gauche sur son visage : ses joues et ses yeux étaient humides. Elle s'était mise à pleurer sans s'en rendre compte. Elle tâta le contenu de sa poche : elle avait assez d'argent pour s'acheter de quoi faire un bon repas. La jeune fille se dirigea alors vers Minos sous un ciel lourd de nuages menaçants. Elle devait se dépêcher ou elle risquerait d'être trempée.
A peine eut-elle atteint le village de l'Est que les cieux se déchainèrent, pleurant en torrent sur la terre fertile. Erine entra dans la première boutique venue, échappant de peu à cette douche glacée. Elle regarda autour d'elle : il s'agissait d'une Sandwicherie. Quelle chance, elle pourrait se restaurer en attendant que l'averse passe.
Une vingtaine de minutes plus tard, la jeune fille ressortit et partit en quête d'une bonne Pâtisserie où acheter un gâteau qui ferait office de dessert. Une fois la douceur en sa possession, elle alla dans le parc de la partie Est du village et s'assit sur un banc légèrement humide. Mais à peine eut-elle ôté le couvercle de la boite en carton rose qu'une goutte froide lui tomba sur la main, suivit d'une autre, puis d'une autre.

" Quelle poisse ! " songea-t-elle, agacée, " Je serai trempée avant d'avoir atteint le moindre bâtiment ! "

Elle se recroquevilla au-dessus de sa pâtisserie et attendit avec appréhension de sentir le fluide glacial couler sur son dos et ses vêtements.
Le vacarme de la pluie submergea le silence paisible, l'air frais fut noyé sous une odeur tenace d'humidité, mais Erine ne ressentit rien : elle était toujours au sec. Elle releva la tête, intriguée, et aperçut un grand parapluie noir déplié au-dessus d'elle. Elle regarda à sa gauche et eut un bref mouvement de recul sous l'effet de la surprise : une personne se tenait juste à côté d'elle sans faire le moindre bruit. Elle portait un grand poncho noir en toile cirée qui descendait jusqu'au sol et son visage était masqué par la capuche du vêtement, si bien que la jeune fille ne put savoir s'il s'agissait d'un homme ou d'une femme.
Mais étrangement, elle avait cette odeur... Cette odeur de chien mouillé qui semblait si familière à Erine...
Un déclic se fit dans sa mémoire, lui arrachant un souffle teint de surprise.

" Je peux m'assoir ? " demanda le jeune homme d'une voix distante.

Elle ne répondit rien, baissant les yeux vers le sol inondé; il passa devant son amie, changeant de main pour maintenir le parapluie au-dessus d'elle, et s'assit. Puis ils restèrent silencieux de longues minutes.
La jeune fille le regardait du coin de l'oeil : il tournait régulièrement la tête vers elle, puis vers la boite contenant le gâteau, pour finalement reporter son regard sur l'océan miniature qui baignait leurs pieds.

" Tu n'as pas changé, Lubio : " pensa-t-elle avec exaspération et amertume, " tu es toujours un estomac sur pattes... "

Plus par politesse que par réelle envie, elle lui tendit la boite, mais le garçon refusa l'offre tout aussi poliment à la grande surprise d'Erine.

" Bon, peut-être a-t-il un peu changé... " songea-t-elle en ramenant la pâtisserie sur ses genoux, " Mais pourquoi est-il ici ? "

" Erine... "

La jeune fille se tourna vers son ancien ami, le coeur battant.

" Je... te demande pardon. "

Comment ? Avait-elle bien entendu ?
Non, Lubio ne s'excusait jamais avant d'avoir été pardonné, elle avait certainement mal compris.
Le garçon retira sa capuche afin de la regarder droit dans les yeux, offrant sa tête aux larmes du ciel. Il avait l'air perdu, abattu, au bord du désespoir.

" Je t'en supplie Erine, excuse-moi. Pardonne-moi. Je n'en peux plus d'être loin de toi, même si c'est pour ton bien. Je ne veux plus vivre sans toi. "

" Qu... quoi ? " fit-elle avec un petit ricanement nerveux et amer, " Qu'oses-tu me demander ? "

" S'il te plait, Erine, reviens avec moi. "

" Comment oses-tu me dire ça !? " explosa-t-elle, " Après m'avoir chassée de ta vie, après m'avoir abandonnée pendant deux longs mois sans me donner aucune nouvelle, comment peux-tu me dire ça en face sans mourir de honte !? "

La jeune fille sentait remonter en elle toute la rancœur, toute la tristesse, toute la colère qu'elle avait refoulée depuis ce terrible jour où son amour avait été rejeté. Chaque mot qu'elle prononçait lui faisait mal, mais elle n'arrivait plus à contenir tous ses sentiments douloureux.

" As-tu la moindre idée de ce que tu m'as fait endurer !? J'ai failli mourir de chagrin ! Tu ne te rends même pas compte de tout ce que tu représentais pour moi ! Tu... tu... ! "

Ses paroles furent étouffées par ses sanglots. Elle commença à pleurer, semblant verser autant se larmes que le faisaient les nuages. Lubio ne s'approcha pas : il respectait sa souffrance.

" Tu étais tout pour moi ! Tu représentais mon seul espoir de bonheur ! Tu... Tu étais la promesse d'une vie aussi normale que possible, malgré ta position ! "

Elle se prit la tête à deux mains et ferma les yeux, essayant de modérer le volume de sa voix et de faire taire sa douleur.

" Si tu savais... Si tu savais à quel point je t'aimais... à quel point je t'aime encore malgré tout ça. Mais je ne peux pas revenir avec toi... je me sens trahie, tu comprends ? "

" Erine... "

Elle sentit un souffle chaud sur sa main droite et releva la tête. Le visage de Lubio n'était qu'à quelques centimètres du sien, plus triste et désespéré que jamais. Il lui prit la main et se rapprocha lentement.

" Non... " murmura la jeune fille, " Re... Recule... "

Le garçon n'écouta pas, continuant son voyage. Elle sentait son coeur battre de plus en plus fort.

" Arrête... " le supplia-t-elle.

Elle tremblait. Malgré ce qu'elle disait, elle ressentait ce qui allait se produire comme un besoin viscéral, mais elle avait aussi peur : peur de ce que cela impliquait, peur de retomber sous l'emprise de ses sentiments.
Les lèvres mouillées de pluie de Lubio effleurèrent les siennes une première fois, puis une seconde, laissant leurs souffles s'entremêler. Qu'importe sa peur à présent, qu'importe sa rancœur, plus que tout elle désirait ce baiser. Plus que tout, elle voulait sentir cette peau humide contre son visage, cette odeur entêtante se mêler à la sienne, ces mains douces et fermes autour de sa taille.
La caresse tant espérée se fit enfin sentir, libérant le coeur d'Erine d'un poids énorme. Lorsque le garçon se retira, elle vacilla et se raccrocha à ses épaules. Elle se sentait terriblement fatiguée.

" Je... " souffla-t-elle, " je vais me reposer un peu... "

La pluie s'arrêta. La jeune fille vit du coin de l'oeil Lubio replier le parapluie, puis elle se sentit soulevée dans les airs. Elle se sentait si bien dans ces bras musclés, contre ce torse puissant qui lui procurait une sensation de sécurité et de chaleur. Son épuisement la submergea et, peu à peu, elle sombra dans le sommeil.

Erine était assise sur l'un des canapés vermeils de Lubio et l'attendait. Il était parti chercher quelque chose après lui avoir expliqué, lorsqu'elle s'était réveillée, pourquoi il l'avait amenée chez lui. Il désirait lui parler de « choses sérieuses » et elle n'avait pas eu le courage de le repousser. Mais de quoi pouvait-il bien vouloir discuter ? La jeune fille n'osait s'imaginer que ses fantasmes pourraient devenir réalité.
Son ami n'était toujours pas de retour et Erine était de plus en plus angoissée. Elle se leva et, afin d'occuper ses pensées, parcourut une énième fois du regard les rayons de la bibliothèque de Lubio, s'arrêtant comme à son habitude devant cet ouvrage qui se distinguait des autres livres, cet ouvrage à couverture rouge plus épais qu'une encyclopédie et dont le titre « Traité sur les relations quantiques et mystiques de l'Homme à la Nature » l'avait depuis longtemps dissuader d'y jeter un coup d'oeil, ne serait-ce que par curiosité. Une fois de plus révulsée par la vue de ce livre aussi déprimant que gros, la jeune fille retourna s'assoir à sa place et attendit, se demandant comment une telle monstruosité avait un jour pu être publiée.
Le garçon revint finalement, cachant quelque chose dans son dos, et s'assit près d'elle. Erine eut beau tendre le cou, elle ne put voir ce dont il s'agissait. Puis elle le regarda droit dans l'oeil et demanda :

" Alors ? Que voulais-tu me dire ? "

Lubio prit une profonde inspiration.

" Erine, je suis conscient que je t'ai abandonnée. Je l'ai fait et je sais que tu ne pourras jamais l'oublier. Mais j'ai changé : durant ces deux longs mois, je me suis énormément remis en question, j'ai beaucoup lu et beaucoup réfléchi. Et j'ai du me rendre à l'évidence... "

Il lui prit la main et la serra entre les siennes.

" Sans toi, Erine, je ne peux pas vivre heureux. Si je n’avais pas eu à m'occuper de mes chiennes, je me serais déjà laissé mourir. Ni plus, ni moins. "

" C'est facile de dire ça maintenant. " trancha-t-elle, " Mais tu sais, même si je voulais revenir près de toi, SI je le voulais, cela n'arriverait pas : je ne peux plus vivre comme ça, avec quelqu'un qui me cache tout et que je suis obligée d'aimer en secret. "

Le garçon sourit tristement.

" Je sais, Erine. Pour tout te dire, ce n'était pas non plus ce à quoi j'aspirais. "

Il ferma la paupière et récita d'une voix lente :

" « Tout comme la mort précède la naissance, tout comme l'hiver précède le printemps, tout comme la nuit précède l'aube, chaque fin est un commencement. » "

Il regarda de nouveau son amie.

" Il est inutile de se le cacher : notre histoire est terminée. Ou, tout du moins, l'histoire que tu avais avec le Gardien Bleid, protecteur de la plaine d'Emeraude, est terminée. Mais aujourd'hui, si tu l'acceptes à quelque condition que ce soit, à quelque exigence, une nouvelle histoire commence. Une histoire entre toi, Erine, et moi, Lubio. Une histoire sans secrets, sans mensonges, et... "

Il s'agenouilla devant elle, lui présentant ce qu'il avait amené : il s'agissait d'une boite argentée d'une quinzaine de centimètres de côté.

" ... une histoire qui ne s'arrêtera plus jamais. "

" Qu... Qu'est-ce que c'est ? " demanda la jeune fille, le coeur battant.

" C'est quelque chose qui a beaucoup de valeur pour moi... "

Erine ouvrit fébrilement le couvercle et découvrit, posé sur du velours noir, un bracelet en argent portant en relief l'image d'un aigle majestueux aux ailes déployées. Lubio leva son bras gauche devant lui, révélant un bracelet identique lui enserrant l'avant-bras.

" C'est le symbole de mon engagement. De notre engagement. "

Son amoureuse n'en revenait pas : c'était une véritable demande en mariage !
Elle resta muette, ne sachant vraiment comment réagir. Elle sentait son coeur et son esprit s'emballer de plus en plus.

" Euh... Erine ? " fit le garçon après quelques secondes de silence, " Ca ne va pas ? Tu as l'air bizarre... "

La voix de son amant ramena la jeune fille à la réalité, la tirant de cette douce torpeur qui l'avait submergée sans qu'elle ne s'en rende compte.

" Est-ce que... " poursuivit Lubio, " Est-ce que j'ai fait quelque chose de travers ? "

" Qu'entends-tu par « de travers » ?

" Et bien... Je veux dire, j'ai suivi toutes les étapes, non ? Je n'ai rien oublié... je ne crois pas, en tout cas. Alors pourquoi es-tu si pensive ? "

" Tu veux dire... " demanda-t-elle en sentant toute la magie de cette demande s'évanouir, " ... que tu as suivi des « instructions » !? "

" Euh... Non... enfin, si... Je ne sais pas... Je voulais juste être sûr de tout faire comme il fallait alors... " couina le garçon d'une voix presque inaudible tant il rentrait la tête dans les épaules, " ... je me suis un peu aidé d'un livre sur la séduction... "

" Non mais je n'arrive pas à le croire ! Comment peux-tu avouer ça sans mourir de honte ! A un moment sensé être si beau, en plus ! "

" Ne te fâche pas, Erine. Je SUIS mort de honte. J'ai même dépassé ce stade. Mais je t'avais promis une histoire sans mensonges, tu te rappelles ? "

La jeune fille eut un soupir désespéré. Pourquoi n'arrivait-il pas à trouver un juste milieu ? Il savait pourtant plus que quiconque qu'un mensonge s'avérait parfois plus charitable que la vérité pure.
Elle prit alors un air résolu : même si elle avait rêvé de nombreuses fois cette situation - qui s'éloignait de plus en plus de ce qu'elle avait espéré -, elle devait avant tout s'assurer qu'il avait réellement changé et que ses promesses seraient respectées.

" Tu me parlais d'exigences, Lubio... La seule chose que je voudrais, c'est une preuve que tu n'auras plus aucun secret pour moi... "

" Que puis-je faire pour t'en convaincre ? "

" Il n'y a qu'une seule chose qui me le prouvera. " dit-elle en se remémorant une scène qu'elle avait vue deux mois plus tôt, " Une seule chose que tu puisses faire. Ce que je veux... "

Elle leva lentement l'index vers le visage du garçon, laissant enfin s'échapper cette question qui lui brûlait les lèvres.

" ... c'est voir ce que tu caches derrière ça. " acheva-t-elle en pointant du doigt la grande mèche ébène qui masquait la moitié droite du visage de son ami.

Lubio eut une grimace amère. Il aurait dû s'y attendre : à sa place, il aurait agit exactement de la même manière.
Le garçon hésita durant une infime fraction de seconde puis, lentement, il leva sa main droite vers son visage. Erine sentit son pouls s'accélérer lorsque les doigts de son amant se mêlèrent à ses cheveux puis qu'ils commencèrent à les tirer sur le côté.

" Ah ! " s'exclama-t-elle en sursautant de stupeur.

Son ami recula sous l'effet de la surprise, laissant immédiatement retomber la mèche sur son visage.

" Mais... " fit la jeune fille d'un ton où se mêlaient l'inquiétude et la compassion, " Qu'est-ce que c'est que ça ? "

Elle porta sa main gauche à la figure de Lubio, écarta la chevelure sombre et dévisagea la longue trainée nacrée qui descendait de son front jusqu'au milieu de sa joue. Elle s'imaginait avec horreur la monstrueuse blessure qui avait laissé une telle cicatrice.

" Lubio, quand t'es-tu fait ça ? "

Il ne répondit pas, regardant tristement son amie. Elle se souvint alors de tous ces bandages, de toutes ces blessures avec lesquelles le garçon était revenu en début d'année, après avoir disparu durant tout l'hiver pour régler ce qu'il avait appelé « une affaire personnelle ».

" C'était cet hiver, c'est ça ? "

" Oui. " souffla Lubio en acquiesçant de la tête.

Erine passa ses doigts sur la trace blanchâtre. Le contact de cette peau fragilisée lui donnait des frissons.

" Mais pourquoi ne m'as-tu rien dit ? Tu as dû énormément souffrir... "

" J'avais... J'avais peur : peur de te dégoûter, peur que tu t'éloignes de moi en me voyant ainsi défiguré... Aïe ! Mais qu'est-ce qui te prend !? "

La jeune fille venait de lui tirer fortement l'oreille.

" Tu es stupide, Lubio. " répondit-elle d'une voix trop calme pour paraitre naturelle, " Tu ne tiens jamais compte du plus important. "

Son ami la regarda avec incompréhension.

" Lubio... " continua-t-elle, " Il y a deux choses qu'il faut que tu comprennes une bonne fois pour toutes. Premièrement, je ne suis pas tombée amoureuse de toi pour ton corps : à l'époque de notre rencontre, j'avais une dizaine de prétendants qui étaient bien plus beaux que toi. "

Le garçon prit un air pincé.

" Je sais que ça ne te fait pas plaisir, mais c'est la vérité : je ne t'ai pas aimé pour ce que tu étais, mais pour qui tu étais. Et ça, cicatrice ou pas, cela ne changera jamais.
Deuxièmement, et c'est le plus important, je t'aime... "

Le regard de Lubio s'attendrit à ces mots.

" ... je t'aime et cela implique que je suis capable de faire abstraction de certaines choses, comme ta position ou... comme cette marque... " ajouta-t-elle en la masquant de ses doigts.

" Je suis désolé, Erine. Je te promets, je ne te mentirai plus jamais... "

Erine plongea son regard dans les deux grands yeux marrons de son ami. Il était sincère, elle le voyait.
La jeune fille admira une dernière fois les traits de son visage plein puis replaça la mèche du garçon à sa place traditionnelle. Elle reporta ensuite son attention sur le bracelet dont l'écrin était toujours dans les mains de Lubio. Elle prit le bijou entre ses paumes et l'observa avec minutie : l'aigle était taillé avec tant de précision qu'Erine aurait pu en compter les plumes et de petites vagues, représentant visiblement le vent, étaient finement ciselées autour du rapace. Elle sourit, les yeux brillants, et regarda de nouveau son amoureux.

" Alors ? " demanda le garçon d'une voix qui ne masquait en rien sa crainte et son inquiétude, " Tu veux ? "

Le coeur de la jeune fille battait de nouveau avec force. D'aussi loin qu'elle se souvienne, c'était la décision la plus importante qu'elle avait jamais dû prendre.
Elle savait qu'elle aurait dû y réfléchir longtemps, peser le pour et le contre avant de décider de sa réponse mais, malgré cela, elle ne put s'empêcher de murmurer doucement :

" Oui... Plus que tout au monde... "

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