Le conte ou la vie

Partie 1

C’était une nuit chaude de la saison de Garauth, le dieu du feu, l’obscurité
apaisait un peu la torpeur de la journée. Les vagues s’écrasaient sur les rochers en un roulis lent et répétitif, doux murmures d’une paix infinie. Les animaux nocturnes vaquaient à leur occupation, une chouette effraie planait sans un bruit dans l’air du soir, tandis qu’une souris détalait sur le sable en une course effrénée.

Soudain, surgissant de nul part, un homme apparut sur la grève, il s’appelait Seldorn. A la faveur des rayons du disque lunaire, son visage se révéla, ce n’était qu’un masque de terreur pure. Il avait des cheveux bruns qui lui tombaient en désordre sur les épaules. L’ombre d’une barbe se dessinait sur ses joues, les traits tirés, ses yeux gris exprimaient une peur sans bornes. L’homme portait une tunique de cuir marron élimée par les voyages, elle était déchirée à plusieurs endroits, révélant les griffures laissées par les ronces qu’il venait de traverser. Il serrait dans sa main droite une épée à s’en faire blanchir les phalanges.

Seldorn avait débouché des fourrés et il courrait maintenant sur le sable comme s’il avait une armée à ses trousses. Il allongeait ses foulées pour ne pas se faire rattraper, son cœur allait exploser dans sa poitrine, mais rien n’aurait pu l’empêcher de s’arrêter. Il n’osait pas tourner la tête pour regarder derrière lui de peur de contempler sa mort. Il fixait l’horizon droit devant lui, cherchant à apercevoir les premières lueurs du village d’Haeliston, jamais son poursuivant n’oserait aller jusque là.

Soudain Seldorn butta contre un rocher qui effleurait à peine au-dessus du sol, il s’écroula lourdement dans le sable. Le souffle coupé par le choc, il vit des étoiles brillées devant ses yeux, son épée était tombée loin de lui, hors de porté. Il essaya de se relever mais il se retrouva à nouveau face contre terre. De toute façon, Seldorn le savait, il était trop tard, la créature était sûrement déjà sur lui.
- Viens, rejoins-moi dans mon royaume, tu n’as pas d’autres choix, susurra une voix spectrale.

Seldorn se retourna, toujours sur le sable, et fit face à son poursuivant. C’était un bakrys, un dévoreur d’âme, le protecteur des tombeaux des rois et des mages puissants. L’apparence de la créature inspirait les pires cauchemars, ce n’était qu’un morceau de cadavre qui planait dans les airs. Son crâne aux dents terrifiantes était pourvu de quelques longs cheveux épars et dans ses orbites vides brillaient une flamme rouge sang. De corps il ne restait qu’un torse où la peau parcheminait collait aux cotes, et de long bras osseux avec de longues griffes acérées.

Un bakrys était capable de figer de peur n’importe qu’elle créature vivante, son toucher glacial engourdissait le corps. Il ne lui restait plus qu’à mordre le cou de ses victimes pour aspirer leurs forces vitales. Son seul but était de tuer tous les imprudents qui osaient violer le sanctuaire qu’il protégeait, un très ancien pacte magique l’y obligeait.
- J’ai déjà pris tes compagnons, renchérit le mort vivant, pourquoi résister ?
Seldorn repensa à ses camarades, et à ce satané mage, comment avait-il pu en arriver à ce point là en moins d’une journée ?

Les images de la veille lui vinrent en mémoire.

Le soleil était couché depuis longtemps, mais Seldorn, Opartum et Kilihant étaient encore assis à boire à leur table habituelle à l’auberge de la « Chope Pleine ».Cette établissement était le rendez-vous de tous les gens d’armes des environs, la bière n'était pas trop mauvaise et l’auberge ne fermait jamais ses portes.
Les trois hommes étaient tous mercenaires et ils venaient d’empocher une jolie somme après avoir convoyé une colonne de marchand. Les trois hommes étaient bien décidés à fêter l’événement jusqu’au petit jour. Ils faisaient grand tapage, chantant et buvant tout leur content.

Opartum était un géant tout en muscle, il gardait une coupe de cheveux bruns stricts, très courts. Il avait une mâchoire carrée et des yeux marron, il portait une éternelle tunique en cuir clouté. C’était un guerrier né qui plongeait au cœur des batailles en criant de joie.
Kilihant était tout le contraire, il avait une musculature plus fine, plus athlétique. Ses cheveux étaient mi-longs, d’un noir de jais, et une fine barbe bien taillé sur son menton. Il était habillé de vêtements élégants, comme un aristocrate, ses yeux bleus furetant parmi la foule. Mais il fallait se méfier de lui, il avait toujours une dague cachée sur lui, prête à être tiré au cas ou.
Seldorn trinquait avec ses amis assis à la même table, ils allaient passer une bonne soirée entre amis, à boire et à faire la fête toute la nuit.

Ce soir là, il y avait du monde à la « Chope Pleine » et personne ne remarqua l’arrivée d’un étrange personnage. C’était un homme à la mine austère, habillé d’une longue robe noire de mage qui le cachait complètement. Il avait rabattu sa capuche pour ne pas être vu et il scrutait la salle avec insistance. Son regard s’arrêta sur un groupe de convives qui semblaient fêter quelque chose.

Sans hésitation, le nouveau venu marcha droit sur leur table, il prit une chaise et il s’assit à coté d’eux. Un brin éméché, les trois hommes ne réagirent pas tout de suite, mais Kilihant, qui avait un peu moins bu que ses compagnons fixa l’importun.
- Je crois que cette table est occupée, signala l’homme au regard perçant.
Le mage ne bougea pas, se contentant de garder son regard rivé sur Kilihant. Opartum cessa de s’intéresser à sa bière pour observer lui aussi l’étrange personnage qui venait d’arriver.
- Et mon gars, fit il, si tu cherches la bagarre …
- Je ne cherche pas à me battre, dit soudain le mage, mais des hommes comme vous pour une petite mission.

Seldorn porta une soudaine attention à ce qu’il se disait, intéressé par les propos.
- Nous ne refusons pas le travail d’habitude, répondit Kilihant, mais nous revenons juste de mission et nous souhaitons profiter pendant quelques temps de nos gains.
- C’est ça, revenez nous voir dans quelques jours quand nous n’aurons plus rien pour nous payer à boire ! Lâcha Opartum en avalant le reste de sa choppe posée devant lui.
Le sorcier esquissa un sourire.
- Se ne sera que pour une nuit ?
- Tu es sourd, on a dit dans quelques jours, lança Seldorn.
- Même pour deux cent pièces d’or chacun, fit tranquillement le sorcier en s’adossant à sa chaise.

Les trois mercenaires se figèrent, cet homme leur offrait pour une nuit, le salaire de plusieurs mois de travail. Ils se regardèrent et portèrent soudain plus d’attention à leur interlocuteur.
- Tout d’abord, qui êtes vous ? Demanda Kilihant. J’aime bien savoir à qui je parle.
- Je m’appelle Moralec, je viens de l’Eneyre et je suis là pour vous proposer de l’argent facile à gagner.
- C'est-à-dire ? Fit Seldorn un peu soupçonneux.
Le mage montra une clé ouvragée qu’il portait autour du cou.
- J’ai découvert l’emplacement d’une ancienne crypte pleine de richesse magique. Elle avait été oublié depuis bien longtemps mais j’ai découvert sa trace. Il me faut juste quelques hommes solides pour me protéger une fois les trésors sortis de la tombe.
- Si cette tombe regorge de richesse, vous n’avez pas peur que l’on vous double, lança Opartum les yeux brillant de convoitise.
Sans se départir de son calme, Moralec fixa le grand guerrier.
- Pas si je multiplie votre prime par deux à mon arrivée sain et sauf à mon bateau sur le port, je pourrais même vous donner une prime supplémentaire si le trésor comble toutes mes espérances.

Les trois hommes n’en revenaient pas, ce mage leur proposait une année de salaire pour seulement une journée de travail, une seule et unique. Chacun imaginait déjà ce qu’il allait faire de cet argent aussi facilement gagné. Ils se regardèrent à nouveau et firent le même signe de la tête.
- C’est d’accord mage, dit Kilihant qui parlait en leur nom à tous, quand partons nous ?
Moralec souriait.
- Demain, en début d’après midi, la crypte n’est visible qu’à la lumière de la lune, je vous retrouverais à l’entrée Nord de la ville.

Sur ces mots, le sorcier se leva et leur fit un signe de la main, avec toujours ce même sourire plaqué sur les lèvres. Enfin il se retourna et sortit de l’auberge aussi discrètement qu’il en était rentré. Opartum partit d’une rire franc en donnant une violente accolade dans le dos de Seldorn.
- Nous avons déjà un joli pactole, fit le grand guerrier, et en plus nous allons plumer cet idiot.
Kilihant, plus réservé, réfléchissait.
- Je ne sais pas, dit celui-ci, même s’il y a beaucoup à gagner j’hésite.
- Moi, renchérit Seldorn, c’est son sourire si étrange, presque prédateur.
- Vous avez toujours peur, lâcha Opartum, deux cent pièces d’or, le double s’il arrive à son bateau et même une prime, une année de travail gagnée en une seule nuit.

Kilihant finit par sourire à son tour, l’argent effaçait ses craintes. Mais Seldorn gardait le silence, il ne pouvait pas s’enlever de la tête un mauvais pressentiment. Il sentait son cœur enserré dans un étau, son instinct lui hurlait de faire attention. Mais il préféra gardé ses craintes pour lui, le bruit des pièces d’or lui flattant les oreilles.

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Voici la première partie d'une petite nouvelle se découpant en trois, j'espére qu'elle vous plaira ^^