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00 - BAKA PAR TRIMOR

Baka


Le vent souffle dans mes cheveux, envoyant des mèches rebelles dans mes yeux. Je m’appelle Julien, j’ai 25 ans. Je suis sur le toit de cet immeuble depuis déjà deux heures, et je ne ressens pas la fraîcheur de l’air, ni les rayons du soleil qui me frappent dans la nuque. Je suis monté là sans vraiment savoir ce que je faisais, j’ai tant accumulé, tant de tristesse, de désespoir et de larmes que mon cœur n’a pu plus en soutenir d’avantage, et mes pas m’ont mené là, à une trentaine de mètres de haut, enfin à peu prés, je me suis jamais posé la question de la hauteur de mon immeuble.

Depuis quelques temps, il y a des formes qui s’agitent en bas, j’entends des cris de peur et de surprise. Un camion de pompier est très vite apparu, ainsi que quelques voitures de police. Tout cela grouille au sol comme des fourmis dont un coup de pied vient de soulever le dessus de leur fourmilière.

Je relève la tête, me désintéressant aux affaires de ces terriens, mes pensées s’envolent et à nouveau l’obscure envahi ma tête. Les larmes brûlent à nouveau mes yeux et je les laisse couler sur mes joues, comme deux sillons brûlant de feu, sur mon visage devenu si pâle.
Je n’ai pas un physique avantageux, pas une grande intelligence, ni un don exceptionnel à mettre en avant. Rien ne me donne envi de sourire, ma vie, mon travail, mon entourage, mes amies, rien de tout cela ne me redonne le courage de quitter ce toit.
Mes amies, cette pensée me fait bien rire tient, des amies …

Soudain la porte du toit s’ouvre violement, et deux policiers apparaissent comme des diables surgissant de leurs boites. Leurs yeux sont écarquillés, surpris, ils ont l’air tout a fait idiot, presque avachi par terre dans leur empressement. Ce tableau m’arrache un sourire fugace, mais la réalité me rattrape tout de suite.

- Faites encore un pas et je saute, je vous préviens je ne bluffe pas.
Pour appuyer mon propos je laisse un pied dans le vide, mon équilibre et précaire et je manque de chavirer.
- Ok ok mon gars, calme toi, on ne va pas venir te voir.
Le flic se prend pour un de ces poulets de la télé, se croyant meilleur que les autres, ce qui m’irrite plus que jamais.
- Vous n’avez pas intérêt.
- On peut discuter si tu veux, pour savoir un peu ce qui se passe.
Les flics me sont vraiment antipathiques, avec leur sourire fourbe, et leur manière de me prendre pour un gosse de 10 ans.
- Cassez vous, tirez vous !

Les policiers surpris par le ton de ma voix, reculent tout doucement et disparaissent dans l’ombre de l’escalier. Enfin je me retrouve seul, et puis ils ne pourront pas me surprendre, les graviers sur le toit me préviendront de leur approche.

Je replonge dans mes pensées, que ces crétins ont troublé, et je pleure, je pleure sans m’arrêter. Je pense soudain à ce qui se passe en bas de chez moi, les flics qui s’agitent et ne savent pas quoi faire. Les renseignements qu’ils prennent sur moi, pour pouvoir m’amadouer. Que peuvent bien dire mes voisins sur moi, je n’en connais pas un seul, et cela m’étonnerait qu’ils en sachent beaucoup sur moi.

Mais jamais je me laisserais faire, j’ai pris ma décision, je vais me jeter et enfin terminé toutes ses souffrances, achevé ces nuits passées à pleurer. Ma délivrance enfin, la délivrance de ma douleur et de mon désespoir, il me tarde tant.

Et voilà que la porte s’ouvre à nouveau, et je m’attend à revoir ces flics stupides avec leur air de Rick Hunter, et ils sont sensés nous protéger. Je tourne la tête pour les insulter abondamment, et je vois un nouveau venu.

C’est toujours un flic, mais il est un peu plus jeune, il porte un costume un peu défraîchi, un inspecteur peut être. Derrière lui ça se bouscule, les deux flics stupides sont là, je vois aussi des casques de pompiers.
Le nouveau venu fait mine d’avancer dans ma direction, mais il n’est pas question qu’il approche de moi.

- Arrêtez vous tout de suite où je saute !
L’inspecteur s’arrête tout de suite en levant les deux mains levées devant lui.
- Ne t’inquiète pas, je n’avancerais pas plus, je suis juste venu parler avec toi.
Le charabia habituel des flics, ça me rend malade.
- Je sais très bien ce que vous allez essayer mais je ne compte pas bouger de l’endroit où je suis !

Alors que le flic s’apprêtait à parler, les cris d’une jeune fille retentissent dans l’escalier, suivi de cris de douleur des flics. Je sais à qui appartiennent ses cris, et je grimace tout de suite, je ne pensais pas qu’elle viendrait aujourd’hui.
Bousculant les deux derniers balourds, une jeune fille brune apparaît sur le toit, je la trouve toujours aussi joli, avec son petit visage doux et agréable, et ses longs cheveux magnifiques. Mais là, dans ses yeux verts, j’y vois surtout une colère sans borne.

- Julien qu’est ce que ça veut dire !
La douce voix de la jeune fille est devenue bien dure, je ne savais pas qu’elle pouvait être autant en colère.
- Agnès …
- Qu’est ce que vous faites ici vous ? Fit soudain l’inspecteur mécontent d’être ainsi interrompu dans sa grande démonstration.
- Je le connais c’est mon ami, alors laissé moi faire vous voulez bien ?

Je souris intérieurement, j’ai toujours adoré son caractère. Elle se désintéresse du flic et me regarde avec férocité en avançant d’un pas de plus.
- Et toi, qu’est ce que tu fous là ?
- Je veux en finir.
Ma voix est froide, je m’en rends compte en voyant le visage d’Agnès qui grimace, je suis triste de lui avoir parlé comme ça soudain.
- Et tu crois vraiment que c’est la solution, d’aller t’écraser en bas de chez toi ?
- J’en ai assez de vivre, j’en ai assez de la douleur perpétuelle qui m’habite !
- Qu’est ce qui se passe ?
- Ma vie est pourrie, je me fais chier à mon boulot, mais je le garde parce que je n’ai pas le choix.
- Je t’ai dit, tu en cherche un autre et basta
- Et je fais comment pour vivre !
- Tu as un patron génial, un bon salaire, tu n’as pas à te plaindre, si tu veux te jeter pour ça, tu es vraiment un idiot.

Je pousse un soupire de colère.
- Quand je vois le soutien de ma famille …
- Tu n’as qu’à leur parler aussi !
- Ils ne comprennent pas mes souffrances, à quoi bon insister.

Elle croise les bras devant moi, un signe d’agacement chez elle.
- Je ne vois toujours pas pourquoi tu veux aller embrasser le béton en bas.
- Et dernièrement, je ne m’en suis pas pris encore plein la gueule, j’ai le cœur en miette et je souffre, je fais que souffrir, tout ce que j’entreprends je le loupe, j’en ai mare de cette vie de merde, mare !!!
- Tu es encore bloqué là-dessus ?
- J’ai mal, elle m’a fait tant souffrir, toutes m’ont fait souffrir en se foutant bien de ma gueule, et de mes sentiments. Elles n’en ont rien à foutre de moi, c’est tout ce que je vois, et je souffre, j’en ai assez de souffrir !

Agnès tremble de fureur.
- Ton ex t’a laissé tombé, et alors, c’est une conne si elle ne comprend pas ce qu’elle perd tant pis pour elle, et pour les autres aussi !
- Pour toi c’est si simple, mais je me retrouve seul, seul à souffrir, elles me manquent et j’ai mal, je n’ai personne dans ma vie !

Et là, pour la première fois depuis que je connais Agnès, je vois les larmes couler de ses yeux, elle tremble et pleure sans arrêter.
- Alors voilà ce que je suis pour toi, je suis rien, je ne compte pas, c’est …
Je suis désarçonné devant ses larmes, je ne m’attendais pas à ça, et je me rends compte que j’ai été odieux avec elle.
- Agnès, je …
- Mais vas y saute donc espèce d’idiot !
Elle désigne d’un geste furieux le vide, les sillons de larmes défigurent le visage si souriant d’Agnès habituellement, je suis complètement apeuré, et mes larmes se mettent à couler également.
- Saute, aller !
Elle tremble toujours plus.
- Baka, baka, baka, baka, BAKA !!!!!!!!!!

Le cri d’Agnès résonne dans ma tête comme un coup de tonnerre, son visage barbouillé de larme, son cri de désespoir, cette tristesse qui colle tant avec la mienne, la douleur et la souffrance.
Je la regarde, debout devant moi, tremblante, les yeux baignés de larmes, elle est si belle, si touchante, si fragile. Je me sens soudain si égoïste, si ignoble, si minable.
- Agnès, je ne voulais pas … Enfin c’est pas ce que je voulais dire …
- Mais tu l’as dit, je suis pour toi une amie ou seulement la fille qui te serre à te plaindre, tu dis que personne ne tient à toi, mais je tiens énormément à toi.
Ses larmes se mirent à couler plus encore.
- Tu t’arrêtes à la douleur de l’instant, tu n’essayes pas de regarder autour de toi, tu te plais dans ta douleur et tu fais tout pour surtout ne pas la quitter.
Les accusations me touchent en plein cœur, et de la bouche de ma chère Agnès se révèle une vérité dure à entendre, et pourtant si vraie.
- Regarde toi, avec ce masque de douleur tu ne vois même pas que les gens tiennent à toi, tu ne vois même pas que tu as des amies qui t’aiment et …
Agnès hésite soudain, toujours les mêmes sillons de larmes sur ses joues, et elle me regarde soudain, les yeux pleins de tristesse.
- Tu ne vois pas à quel point je t’aime.

Sur ses mots, j’écarquille les yeux, surpris complètement par la révélation si soudaine de mon amie. Elle a raison, je n’ai même pas remarqué ses sentiments, ils étaient là devant moi, toujours présent, dans ses paroles, ses attentions, ses cadeaux.
J’étais tellement égoïste, à penser seulement à ma douleur et à rabacher que personne ne me comprenait. J’ai été tellement stupide, et j’allais atteindre le sommet en allant sauter de ce toit.
- Agnès, je suis tellement désolé, je …
Mon amie pleure toujours sans bouger, je n’avais pas remarqué qu’elle s’était autant rapprochée de moi. Les flics n’ont pas bougé, même l’inspecteur reste là, comme amorphe.
Je descends du parapet et je prends Agnès dans mes bras en la serrant très fort contre moi.
- Je suis vraiment désolé, Agnès, excuse moi, excuse moi.
Je pleure sur son épaule, de grosses larmes coulent de mes yeux et j’enfouis mon visage dans ses cheveux.
- Espèce de baka, murmura Agnès pleurant autant que moi.

Les flics finissent par bouger et ils nous entourent ne sachant que faire, je m’en fiche d’eux de toute façon, ils peuvent bien faire tout ce qu’ils veulent, rien ne peut plus m’atteindre, j’ai compris grâce à Agnès, grâce à son courage, à ses larmes, j’ai compris.
Je suis un pauvre idiot, mais j’ai ouvert les yeux, et je sais que je ne serais plus jamais seul, Agnès sera toujours là, toujours.



Tout le monde à une Agnès, qui sera toujours là pour nous.

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