Lundi douze novembre au matin, je fais distraitement tourner ma plume entre mes doigts tout en fixant la table intensément. Si j’avais voulu y foutre le feu par la force de la pensée, je ne m’y serais pas pris autrement. Mais étrangement ça ne fonctionne pas. Damned, me voilà forcée à suivre ce cours d’histoire de la magie aussi inutile qu’ennuyeux (Nan mais c’est vrai : qui s’intéresse à la création du département des Lois Inconnues et Inutiles au ministère de la Magie ?...Pour la petite histoire, nous sommes le seul pays au monde à détenir un tel département…Mais quelle fierté !). Plusieurs jours se sont passés depuis la rentrée, sans qu’aucun événement notoire ne soit intervenu. Mon cerveau est toujours en plein déménagement, c’est un tel boxon qu’il m’arrive de ne plus me souvenir de la direction des salles de cours où autres lieux-clés que j’ai pourtant fréquentés pendant cinq longues années. Le cas Black est plus présent que jamais dans mon esprit. C’est d’autant plus confus que, dans ma tête, je l’appelle Sirius une fois sur deux, infoutue de me décider entre son nom et son prénom. Mes bonnes résolutions ont eu tôt fait de se faire la malle, me laissant avec la désagréable impression d’être pathétique. Mais c’est peut-être juste moi. Je n’ai aucune volonté. Je suis peut-être masochiste…Réfléchissant à la question, j’observe vaguement mes camarades de classe assister d’un œil bovin à l’appel déblatéré par le professeur Bins – ce prof a le don de tout rendre chiant. Laura s’est rendormie, la tête reposant sur son cahier et ses cheveux servant de couverture. Amélia drague un Serdaigle visiblement peu ravi de se trouver là. Sandy essaye d’écouter avec toute la bonne volonté dont elle est capable, mais son attention se trouve irrémédiablement attirée par un jeune homme aux yeux dorés griffonnant sur un parchemin quelques rangs plus loin. Pourquoi mes histoires à moi sont jamais aussi simples ? C’est pas du juste…Lily boit les paroles de Bins. Notez qu’il est toujours en train de faire l’appel et qu’il vient seulement d’arriver au nom « Chesterfield », sa lenteur accentuée par sa voix morne et traînante. Cette fille (Lily bien sûr) me désespère. Je m’autorise un petit sourire amusé qui s’efface immédiatement de mon visage quand mon regard tombe sur une tignasse noire de jais malheureusement bien familière. Sirius Black, dans toute sa magnificence maraudeuresque, se marre avec ses potes sans se soucier d’être entendu par le professeur, ce dernier toujours occupé avec ce foutu appel et prononçant laborieusement le nom de « Cohen ». Je détourne vite le regard pour ne pas risquer d’être accusée de voyeurisme. J’ai déjà assez d’une Darcy. Tiens en parlant de celle-là, elle m’avait promis une vengeance mais j’attends toujours. Je me disais aussi que c’était bizarre. Faut que je pense à me pencher plus sérieusement sur le problème.
Hum. Pom pom pom. Hé mais à ce rythme-là il sera pas arrivé à mon nom à la fin du cours ! Rongeant mon frein, je commence à tapoter nerveusement mon bureau de mes ongles en émettant de temps à autre des soupirs agacés. Mais il ne faut pas s’attendre à une quelconque réaction : c’est Bins. Je n’arrive pas à me souvenir la dernière fois où j’ai écouté un de ses cours pour de vrai. Probablement deux ou trois fois en cinq ans...et sous la menace de Lily. Faut dire qu’avec toutes ces histoires je n’ai pas vraiment écouté un seul cours depuis le début de l’année. C’est ma mère qui va être contente quand elle recevra le bulletin de notes ! Tiens quand j’y pense ça fait longtemps que je ne lui ai pas écrit...
-Harris.
...Elle va s’inquiéter. Elle m’a bien demandé de lui écrire tous les mois. Je me demande si elle s’adapte bien à la maison...
-Harris ?
...Elle râle sûrement encore contre les ronces au fond du jardin, mais ça finira bien par se tasser. La connaissant elle a dû faire des catastrophes avec la peinture, j’ai peur de ce que je vais trouver sur les murs en rentrant...
-Bien, Mademoiselle Harris est donc absente.
-...Hein ?
Je viens de sortir de ma rêverie alors que le prof me note absente sur le parchemin d’appel. Je le crois pas. Je suis au premier rang, juste en face de lui et cet abruti me voit même pas. Certains élèves ricanent, mais je ne sais pas si c’est à cause de moi qui suis dans la lune ou de lui qui est miro.
-Euh...Monsieur je suis là ! dis-je en levant le bras comme pour justifier mes propos.
Il lève les yeux de sa feuille et m’observe d’un regard vitreux pendant une (très longue) minute.
-...En effet.
Il raye mon nom du parchemin et poursuit son appel comme si de rien était. On aura tout vu. Encore un peu perplexe, je jette un coup d’œil à Sandy qui griffonne sur un coin de table. Tiens, ça me donne une idée.
-Mandatum distentia.
J’attrape le parchemin que je viens d’ensorceler et y inscris quelques mots, avant de le tapoter du bout de ma baguette. Il disparaît puis réapparaît comme de par enchantement (haha) sur la table de Sandy qui ouvre des yeux ronds. Elle me regarde interrogativement puis le lit.
Princesse Leïa : Génial, coincés une heure avec un escargot aveugle sous lexomil...
Jessica Lange : Tu exagères, tu n’écoutais pas ce qu’il disait.
Je vous laisse le loisir d’admirer nos magnifiques pseudonymes. C’est une précaution qu’on prend depuis qu’on s’est fait pincer par McGo, toutes les interventions étant automatiquement signées quand on utilise ce sortilège (sinon c’est impossible de s’y retrouver quand on est plus de deux). Amélia et Sandy ont une préférence pour les actrices de cinéma à la mode alors que Laura et moi nous tournons plutôt vers la fiction.
Princesse Leïa : Encore heureux ! Manquerait plus que ça ! C’est pas que je veux changer de sujet mais t’avais pas l’air d’écouter beaucoup non plus...Il semblerait qu’un certain blond t’en ait empêché.
Jessica Lange : Nan mais n’importe quoi...
Princesse Leïa : Oh pardon ! C’est vrai, c’est pas ta faute, c’est sa beauté qui t’as agressé !
Jessica Lange : Siri...
Princesse Leïa : LA FERME !
Faye Dunaway : Elle peut pas la fermer : elle est en train d’écrire, pas de parler.
Jessica Lange : Qui s’incruste dans la conversation là ?
Princesse Leïa : Un pseudo aussi prétentieux ça ne peut être qu’Amélia.
Faye Dunaway : C’est pas prétentieux c’est réaliste. Tu te crois mieux avec ta reine des pains aux raisins là ?
Princesse Leïa : Même pas vrai ! Leïa Organa, sénatrice d’Alderaan, est coiffée en macarons, pas en pain aux raisins !
Jessica lange : Comment tu fais pour retenir autant de truc sur un film qui vient de sortir ?
Princesse Leïa : Quand on est fan, on ne compte pas. Et puis c’est pas un simple film : c’est Star Wars ! J’aurais jamais cru que les moldus réussiraient à filmer dans l’espace !
Faye Dunaway : Haha ! Ouais et tu te demandes pas comment ils ont convaincu les extra-terrestres de jouer dans le film ?
Jessica Lange : Faye, la ferme. Ally...euh je veux dire Leïa, ils ne sont pas vraiment dans l’espace, ce sont des effets spéciaux.
Princesse Leïa : ...Je le savais.
Wonderwoman : Qui va dans l’espace ?
Faye Dunaway : Personne. C’est toi Laura ?
Wonderwoman : Qui veux-tu que ce soit d’autre ?
Faye Dunaway : Une personne qui ne dort pas sur sa table.
Wonderwoman : C’est une diversion.
Rita Hayworth : Vous ne travaillez donc JAMAIS ??
Princesse Leïa : Gné ? Ma petite Liliane, c’est quoi ce pseudo ?
Rita Hayworth : T’as jamais vu le film Gilda ?
Princesse Leïa : Non.
Faye Dunaway : Non.
Wonderwoman : Non.
Jessica Lange : Ca me dit vaguement quelque chose...C’est quoi ?
Rita Hayworth : Un incontournable des années 40 bande d’ignares.
Faye Dunaway : Bah si tu vas chercher des fossiles aussi...Elle a 120 ans ta Rita !
Rita Hayworth : Je me passerai de commentaire...
Princesse Leïa : Bien, maintenant que tout le monde est là nous allons pouvoir passer aux choses sérieuses.
Jessica Lange : Ces choses sérieuses qui sont... ?
Princesse Leïa : Le fait que ma pouffiasse préférée (Darcy) est de plus en plus bizarre.
Faye Dunaway : Bah c’est rien, elle a dû retrouver son cerveau et elle apprend à l’utiliser.
Rita Hayworth : Non, d’après ce que vous m’avez raconté elle doit avoir un plan...
Princesse Leïa : Pitié me dites pas que cette cruche devient moins conne que moi !
Wonderwoman : De quelle cruche tu pa(gribouillis incompréhensible)
Jessica Lange: Laura ?
Rita Hayworth : Euh...
Wonderwoman : Désolée, une des dindes de son fan-club m’avait piqué le parchemin.
Princesse Leïa : Ah bah bravo ! Faudra penser à trouver un moyen de communication plus sûr...
Faye Dunaway : Pour en revenir à Darcy, tu veux faire quoi ? La cuisiner pour la faire avouer ?
Bambi : Alors ? La préfète Evans fait passer des mots pendant le cours ?
Jessica Lange :...Bambi ?
Princesse Leïa : Euh...Je voudrais pas paraître grossière mais tu es qui au juste ?
Rita Hayworth : Potter !
Bambi : Ooh ! Je suis démasqué ! (bonhomme qui sourit)
Rita Hayworth : Mais quel pseudonyme à la con...
Bambi : Pourquoi ? Tu n’aimes pas Bambi ? (bonhomme triste)
Rita Hayworth : Disons que j’éprouve en ce moment un élan de sympathie pour les chasseurs...
Princesse Leïa : Mais vire le de la conversation au lieu de taper la discute !
Rita Hayworth : Je peux pas il s’est bricolé un autre parchemin !
Bambi : Héhé ! =D
Faye Dunaway : Mais quel bordel...
Jessica Lange : Faisons comme s’il n’était pas là. Je pense qu’on doit attendre, elle va peut-être se calmer avec le temps.
Princesse Leïa : Ouais, et puis tant que t’y es demandes lui de réfléchir aussi.
Scooby-Doo : De quoi vous parlez ?
Rita Hayworth : Mais c’est pas vrai ! (bonhomme très très énervé)
Princesse Leïa : Puisque apparemment on rentre dans cette conversation comme dans un moulin, allons-y gaiement. Je ne demanderai même pas qui vient de parler, je n’en ai rien à faire.
Bambi : Heeey ! Patmol c’est toi ?
Scooby-Doo : Qui ça pourrait être d’autre à ton avis ?
Faye Dunaway : Euh...Patmol c’est pas le surnom qu’il donne à...
Princesse Leïa : QU’EST-CE QU’IL FOUT LA LUI ?!
Scooby-Doo : On se connaît ?
Princesse Leïa : (gribouillage hystérique)
Bambi : Mais enfin Scooby ! Tu vois bien que c’est Harris !
Scooby-Doo : Ah ! D’où les difficultés pour écrire correctement.
Princesse Leïa : Je t’emmerde !
Bambi : C’est si joliment dit !
Faye Dunaway : Hé ! j’ai une idée ! Si vous vous cassiez ?
Rita Hayworth : Ca me paraît une bonne option.
Scooby-Doo : Je ne vois pas ce qui m’oblige à arrêter d’écrire sur ce parchemin posé sur MA table et qui appartient à James qui est MON ami.
Princesse Leïa : Sûrement le fait que tu n’aies pas été invité à participer à cette conversation et que par-dessus le marché tu me fais GRAVEMENT chier.
Scooby-Doo : Si tu savais à quel point je m’en tape...
Bambi : Euh...Du calme !
Rita Hayworth : Qu’est-ce que tu m’as l’air convaincu.
Princesse Leïa : Pourquoi il faut toujours que tu viennes tout gâcher ? J’en ai marre de to(...)
Je reste bouche bée, la plume suspendue en l’air : le parchemin vient de me disparaître sous le nez ! Coulant un regard vers mon ennemi préféré, je remarque qu’il est en train d’écrire frénétiquement sous l’œil consterné de James. Furieuse, j’agite ma baguette et fais réapparaître le parchemin dans un « pof » sonore. Je lis, satisfaite, sa phrase inachevée :
Scooby-Doo : Quand est-ce que tu vas arrêter de m’agresser quand j’arrive ? Je croyais qu’on oubliait ce qui (...)
Princesse Leïa : Sers-toi de ton parchemin espèce de (...)
Scooby-Doo : Sale (...)
Princesse Leïa : Abruti !
Scooby-Doo : Gamine !
Au bout d’un moment, nous n’avons même plus le temps d’écrire et toute la classe s’est tournée vers les deux psychopathes se battant pour un bout de papier dans un concert de « pof » et surtout dans l’indifférence la plus totale de la part du professeur. Le malheureux parchemin finit par se matérialiser dans les airs au beau milieu de la salle de classe tandis que Black et moi nous lançons des regards de défi (ou de coqs effarouchés, au choix). Je sens une forte attraction sur ma baguette et devine qu’il en est de même pour Sirius à voir la façon dont il s’arc-boute sur sa chaise. C’est comme si un fil invisible nous reliait au parchemin : le premier qui lâche a perdu. Pourquoi ne pas cesser de s’acharner ainsi sur ce pauvre parchemin qui n’a rien demandé à personne au lieu de prouver que nous sommes aussi stupidement puériles l’un que l’autre me direz-vous ? Aucune idée. L’honneur des abrutis sans doute. Ou une fierté très (mais alors très) mal placée.
-Lâche...ça ! lançai-je, la voix rendue rauque par l’effort.
-Va mourir !
Bon, ça c’est fait...Me voilà obligée à tirer ma baguette des deux mains pour ne pas qu’elle m’échappe. Je ne veux PAS perdre !
-ARRETEZ TOUT DE SUITE VOS CONNERIES !! s’époumone Lily.
Indifférence générale. Les filles piaillent après Black pour l’encourager et les mecs me soutiennent à coup de gros cris bien virils. Nos amis respectifs se planquent derrière leurs cahiers et honnêtement je les comprends. Soudain, la sonnerie retentit et c’est se moment que choisit le parchemin pour se déchirer de part en part, nous envoyant tous les deux sur les roses. Un peu sonnée, je me redresse et entends les protestations de nos supporters. Plus de doute, ce prof est décidément sourd ! Je me relève, époussette ma jupe et me rend compte qu’une des morceaux de parchemin gît à mes pieds. Je le ramasse et, me relevant, je croise le regard de Black. Puis j’aperçois le bout de parchemin qu’il tient à la main. Après quelques instants de flottement...
-Je t’ai eue Harris ! C’est moi qui ai le plus gros bout !
Silence consterné à travers lequel le fracas causé par James en se cassant la figure de sa chaise fut loin de passer inaperçu. Je m’apprête à m’insurger, mais c’est sans compter Super Relou qui se réveille à l’instant :
-Black, Harris. Veuillez sortir de ma salle ou je me verrai obligé de vous mettre en retenue. Ensemble.
Nous nous tournons vers Bins qui n’a pas décollé les yeux du tableau où il écrivait avant de détaler sans demander notre reste.
-Bravo Harris, me dit Black, une fois dans le couloir. Tu as encore une fois démontré ton talent pour te donner en spectacle.
Une telle mauvaise fois m’impressionne.
-Paaaardon ?!! Nan mais je le crois pas c’est à moooi que tu paaarles ? C’est auprès de mooooi que tu t’exprimes ?!!
-Tu connais une autre Harris ?
-C’est toi qui me dis ça alors que : primo c’est TOI qui m’a chipé le parchemin sous le nez et deuzio c’est TOI et encore TOI qui t’es incrusté honteusement dans une conversation privée ! Pour finir tu m’a agressé d’entrée de jeu !
Loin de se démonter, il sort son bout de parchemin de sa poche et le tapote plusieurs fois de sa baguette. Après quelques minutes de silence, il déclare d’une voix monotone :
-Princesse Leïa, deux points, « Qu’est-ce qu’il fout là lui », point d’interrogation, point d’exclamation. Le tout en majuscule. Mais c’est moi qui t’agresse bien sûr.
-Ne joue pas sur les mots s’il te plaît, je grogne en accentuant le dernier mot.
-Oh je t’en prie ! Est-ce que tu pourrais arrêter de te comporter comme une gamine pour DEUX secondes, qu’on finisse cette conversation horripilante ? Et pourquoi pas, par la même occasion, faire en sorte d’éviter que ça se reproduise ?
Le changement de ton m’ayant interpellée je m’étais calmée un peu, mais la suite de la phrase arrivant, mon expression change pour un rictus ironique.
-Et peux-tu me dire comment je te prie ?
-Faire la paix me paraît une bonne option.
-Tu m’as déjà servi ce bobard. Au cas où tu aurais oublié ça n’a pas marché !
-La faute à qui ? s’exclame-t-il, sarcastique.
-Oh ! excusez-moi de ne pas être aussi naïve que vous le voudriez, Monsieur Je-crois-que-je-ressens-un-truc-pour-toi !
-Excuses acceptées.
Non mais je rêve ! Je me retourne brusquement pour me retenir de lui en coller une (encore) et mords mon point pour éviter de lui sortir ses quatre vérités (encore).
-Ally...Toute cette merde a commencé de manière vraiment ridicule ! Tu avais un faible pour moi. Avoue-le ! ajoute-t-il précipitamment, me voyant prête à répondre. J’ai essayé d’en tirer parti...c’était con et pas très élégant de ma part et je me sens vraiment mal pour ça. Ca aurait pu être pire, tu as su te défendre et oui, ça m’a un peu tapé sur le système. Mais je ne t’en respecte que plus et...l’époque où on pouvait discuter sans s’entretuer me manque.
Les bras croisés dans la parfaite attitude de la boudeuse, je fais mine de ne pas m’intéresser au fait que Sirius Black baisse son froc devant une fille. D’autant que cette fille c’est moi. Merde, j’aurais dû l’enregistrer.
-Je te fais aimablement remarquer que cette période n’a pas duré plus de trois mois.
-Et alors ? C’était quand même plus agréable que cette espèce de guéguerre à la con ! Alors...tu marches ? finit-il en tendant sa main vers moi.
Non je marche pas : je cours. Alternant les coups d’œil entre la main et son propriétaire, je me tâte sérieusement. Je peux dès maintenant mettre un point final à mon supplice, faire la paix et me conduire convenablement pour le reste de l’année. Tout ce que j’ai à faire, c’est serrer cette main. Juste une petite poignée de main de rien du tout...Je m’approche du brun. Le regarde dans le blanc des yeux. Et quand je me trouve assez près pour attraper sa belle main blanche et virile d’aristocrate qui n’a jamais fait quoi que ce soit de ses dix doigts...
-Va chier. C’est pas demain la veille que je me rendrai sans combattre.
Vous y avez cru hein ? Non ? Pas drôle... Lui oui. Ca se voit à la manière qu’il a de grincer des dents comme une craie sur un tableau noir.
-T’es vraiment...
-Conne ? Débile ? Folledingue ? Tu commences à user ton répertoire.
-Gamine ! Et je suis sincère ! Quand est-ce que tu te décideras à te conduire en adulte ? T’as seize ans, merde ! Je te parle sérieusement là ! C’est pas un jeu ! C’est dingue ça...
Oula, il a un peu dépassé mes espérances. Sur le coup je reste sans voix. Ce qu’il me dit me fait bizarrement mal. Secouant la tête, je chasse cette pensée et réponds tant bien que mal.
-C’est vraiment l’hôpital qui se fout de la charité.
-Je te parle de sentiments Ally ! Quand seras-tu capable d’exprimer des sentiments plus complexes que « il m’a piqué mon crayon, je le déteste » ?
Gros blanc. Je sens les larmes me monter aux yeux. Pitié, que je ne pleure pas maintenant, pas devant lui... Les autres sont tous tournés, vers moi, attendant sans doute une réplique stupide mais efficace. Je crois bien qu’ils vont être déçus.
-Déjà que tu me parles de maturité, c’était à la limite du ridicule, mais que tu me donnes des leçons sur les sentiments, c’est plus que je ne peux en supporter !
Et sur ces entrefaites j’effectue un repli stratégique vers le troisième étage ou doit se dérouler notre cours de métamorphose.
Tout le reste de la journée est employé à éviter soigneusement Sirius Black et je ne cesse de me tracasser avec les trucs qu’il m’a dit.
A quinze heures, après notre dernier cours – Sortilèges – Sandy nous propose à toutes les quatre de faire nos devoirs à la bibliothèque.
- Attends, c’est notre dernière année sans examens et tu veux qu’on se tape des heures sup’ ? Très peu pour moi, marmonne Amélia dans sa barbe.
- Justement, si tu veux avoir une chance de les réussir, ces examens, tu ferais bien de t’y prendre maintenant ! réplique Lily avant d’ajouter à l’intention de la blonde : c’est une très bonne idée, Sandy.
Laura, philosophe, s’est déjà mise en route pour la caverne aux bouquins (on ne contredit pas Lily) alors qu’Amélia continue à essayer de négocier.
- Je ne viens pas, commençai-je, avant d’expliquer face à leurs mines étonnées : je suis un peu fatiguée...J’ai...besoin de me retrouver un peu seule.
Sandy, qui semble avoir compris mon problème, pose une main compatissante sur mon bras.
-Si c’est à cause de ce que Sirius t’as dit, tu ne devrais pas...
-Non...Je veux juste être un peu tranquille. Je vous rejoins pour dîner, okay ?
Elle hoche la tête et se détache de mon bras tout en me lançant des œillades inquiètes.
Dès qu’elle tourne au coin du mur, je m’élance vers les escaliers et entre en trombe dans la tour de Gryffondor, puis dans le dortoir. Arrivée, là, je ne trouve rien de plus intéressant à faire que de m’étaler sur mon lit en poussant un râle digne d’un ours agonisant. J’aimerais pouvoir pleurer mais je n’y arrive pas. C’est un truc de fille et tout le monde me fait assez bien comprendre que je n’en suis pas une. Du moins pas une vraie.
« Quand est-ce que tu te décideras à te conduire en adulte ? » Rrrraaaaah !! Je décharge ma colère sur mon pauvre oreiller qui ne m’a rien demandé et ne m’arrête qu’au bout de quelques minutes, le cheveu en bataille et couverte d’une épaisse couche de plumes d’oie.
« AaatCHA !! »
Je me débarrasse vite fait de ces corps allergènes et peste contre l’abruti qui a décidé de nous fourguer des oreillers à l’ancienne. Je ne m’en étais jamais rendu compte avant... Connaissent pas la mousse à Poudlard ? Ma colère se transforme bien vite en lassitude et je m’assois lentement sur le bord du lit en délogeant une plume qui était venue se coincer au creux de mon cou.
Pourquoi je suis comme ça ? Je fais toujours le contraire de ce que je pense. Dès que quelque chose pourrait mettre en danger mon image de fille lourde, je me braque et deviens trois fois pire. Je ne suis pas en train de dire que Sirius a raison, je ne suis pas encore stupide, mais je n’arrange pas le problème non plus. Une envie pressante m’interrompt dans mes pérégrinations mentales et je me traîne jusqu’à la salle de bain afin de l’assouvir (excusez-moi les détails sordides mais après tout vous êtes dans ma tête et je ne vous ai pas demandé d’y rester). Une fois ceci fait, je me déplace avec autant d’enthousiasme que précédemment vers le lavabo pour me laver les mains et je scrute mon reflet dans le miroir. Je fronce le nez comme je sais si bien le faire.
Ce que je vois ? Une fille qui ne fait pas ses seize ans portant une chemise à moitié déboutonnée vers le bas et une cravate de travers. Je vois une chevelure terne et sans coupe de cheveux particulière (ça dépend sur quel côté je dors pendant la nuit). Je vois une peau blafarde où trônent majestueusement deux boutons rouges vers la racine des cheveux et quelques points noirs pour aller avec.
Je ne vois aucune trace d’un quelconque maquillage. Je ne vois pas d’oreilles percées. Je ne vois pas de joli décolleté puisque je boutonne toujours ma chemise jusqu’au menton (bon, pas exactement mais j’évite le décolleté genre « écolière perverse » depuis ma dernière poussée de croissance si vous voyez ce que je veux dire). Je ne vois pas de brushing à la Farrah Fawcett. Je ne vois pas de sourire étincelant car je déteste montrer mes dents (j’ai toujours l’impression d’avoir l’air stupide).
Bref. Je suis effectivement une gamine trop vite grandie. Ce que l’autre me trouve, je n’en ai aucune idée. Il est peut-être comme ses aristos qui viennent s’encanailler avec le bas peuple. Il doit me trouver « typique ». Mais moi je veux pas être typique !!
Dans une pitoyable tentative pour m’arranger un peu, je tire mes cheveux en une queue de cheval haute et ramène ma frange en arrière. Ouch. On voit trois fois plus les boutons ! Je rabats précipitamment les mèches de cheveux sur mon front et décide de prendre une douche. Autant y aller en force ! Tout s’arrangera après une bonne douche chaude, les douches arrangent toujours tout...
Je m’exécute donc et use même des gommages et autres produits douteux appartenant à Amélia et aux autres (enfin surtout à Amélia). Une fois sortie de là, j’ai surtout l’impression qu’on m’a raclé la peau avec une râpe à fromage mais je suppose que c’est normal. Je vais rapidement enfiler des sous-vêtements et un peignoir avant de revenir me placer en face du foutu miroir. Une multitude de produits tous plus cosmétiques les uns que les autres s’offrent à moi. Damned, aidez-moi !
Ce n’est pas que je ne me suis jamais maquillée, mais ça n’en est pas loin. Ca m’arrivait de le faire pour rigoler avec ma mère, puis on maquillait aussi ma petite sœur et on s’amusait à faire de faux défilés de mode dans le salon. Je crois qu’on le faisait aussi quand mon père était là mais ce sont des souvenirs bien flous pour moi, même si j’essaye de les conserver le plus possible grâce à ceux de maman et aux photos. J’ai aussi eu une courte période de coquetterie quand je suis sortie avec ce garçon en deuxième année... Mais autant dire que ça n’a pas duré longtemps. Je n’arrêtais pas de me foutre le bâton de mascara dans l’œil ou autres joyeusetés. Savoir que j’ai fait tout ça pour me faire larguer comme une vieille chaussette, ça me rend malade.
Trêve de plaisanteries, je m’empare d’un tube de fond de teint et le retourne dans tous les sens pour trouver une quelconque notice. Rien. Alors c’est ça ? Les filles sont sensées avoir la science infuse et une connaissance innée du maquillage ? Bon, bah puisque c’est comme ça je vais y aller à MA façon.
...
C’est une catastrophe. Vous vous souvenez d’Alba, la vendeuse-gorille du magasin de robes ? Eh bien je suis pire. Enfin non, quand même pas... Mais c’est pas passé loin. Je reste plantée là, devant mon horrible reflet qui se garde bien de me réconforter.
-Bravo l’Artiste. Te voilà fin prête à faire le trottoir.
-Oh la ferme !
-A qui tu parles Ally ?
Stupeur. Sandy vient de me parler ce qui veut dire qu’elle vient de rentrer et à en juger par le boucan que j’entends, les autres doivent la suivre. Il ne faut pas qu’elle me voit comme ça ! Amélia n’arrêtera jamais de se foutre de ma gueule ! Je nous vois déjà dans une cinquantaine d’années, deux petites grand-mères dans leurs fauteuils à bascule...
« Tu te souviens du jour où tu avais voulu te maquiller ? Hihihi ! ce que tu pouvais avoir l’air conne ! »
Cette idée d’une stupidité hors normes m’affole plus que tout et me mène à envisager des solutions toutes plus débiles les unes que les autres. Lorsque je vois la poignée de la porte tourner, je saisis sans réfléchir une serviette qui pendait par là et me la colle sur la tête. Je n’ai plus alors qu’à m’appuyer nonchalamment contre le lavabo et ni vu ni connu je t’embrouille.
-Ally ? Qu’est-ce que...Euh..Tu peux m’expliquer là ?
La voix de ma meilleure amie me parvient légèrement étouffée à travers le tissu et je lui réponds par un signe évasif de la main.
-Rien du tout, je...me sèche les cheveux !
Je joins le geste à la parole en frictionnant énergiquement ma crinière sans découvrir mon visage. Je perçois un silence perplexe avant qu’une seconde voix ne rejoigne la conversation.
-Qu’est-ce qu’il se passe ?
Non ! Tout sauf Amélia ! Cette cruche a attiré l’attention des deux autres et je me retrouve maintenant encerclée (du moins je le suppose, je ne vois absolument rien).
-Mais rien du tout ! J’ai le droit de me balader avec une serviette sur la tête si j’en ai envie !
-Si tu veux... Mais là tu es tournée, vers Laura, pas vers moi.
J’entends des gloussements et je sens une boule se bloquer dans ma gorge. Je ne veux pas qu’elles me voient dans toute l’étendue de ma nullitude, j’ai déjà assez de mal à supporter mon complexe d’infériorité quand elles ne font rien alors si elles commencent à se moquer de moi... Même Sandy sait se maquiller correctement, même si elle ne le fait pas souvent.
-Alexandra ? Montre-nous.
C’est Lily. Son ton est calme et elle n’a pas l’air sur le point de m’engueuler, pour une fois. Mais j’attends tout de même qu’elle vienne elle-même soulever la serviette de mon visage. C’est ce qu’elle fait avant de plaquer une main sur sa bouche, les yeux ronds de stupeur. J’entends Sandy murmurer « Oh misère... » et je vois Laura donner un coup de coude à Amélia qui menace d’exploser de rire à tout bout de champ.
-C’est si terrible que ça ? je gémis, les yeux fermés.
-Eh bien je serais tentée de dire oui mais ce n’est rien d’irréparable. Oh Ally ! Pourquoi tu as fait ça ?
Je baragouine de vagues explications à Sandy au sujet de ce que m’a dit Sirius et que je m’étais trouvée affreuse dans le miroir.
-Tu aurais dû nous demander !
-Plutôt crever...
-Il n’y a rien de mal à demander de l’aide ! Tu nous saoules avec ta fierté à deux ronds ! Si tu veux t’améliorer, il va falloir accepter le fait que les autres ont des choses à t’apprendre ! s’énerve Lily.
Je baisse la tête. Elle a raison, j’aurais dû demander plus tôt.
-Comment tu as fait pour te retrouver aussi...noire ? me demande Amélia d’un air intrigué.
-Ben j’ai essayé de me tracer un trait d’eye-liner sur et sous les yeux ,mais le trait était irrégulier et bizarre et plus je repassais, plus il était gros et irrégulier alors j’ai voulu l’estomper avec le doigt mais c’était une grossière erreur parce qu’on aurait dit que j’avais des traces de pneu en travers du visage et puis j’ai essayé de le laver mais c’est tellement waterproof que même avec du démaquillant je n’ai pas réussi à le faire partir.
Reprenant mon souffle après cette tirade de pur drame, j’observe mes amies pliées en deux de rire au milieu de la salle de bain et bizarrement je ne me sens pas vexée. Je fais pourtant semblant de l’être et leur demande si elles comptent m’aider aujourd’hui où si elles attendent demain. Amélia me répond, plus que ravie :
-Bien sûr qu’on va t’aider. Laura, apporte la chaise de mon bureau s’il te plaît.
Elle fait craquer ses doigts et commence à fouiller dans son placard personnel. C’est le moment de me sentir inquiète non ?
...
Non, ce n’était vraiment pas le moment de me sentir inquiète. J’observe le résultat du travail de mes amies dans ce même miroir qui me renvoyait une image hideuse il y a une demi-heure. Je n’en crois pas mes yeux. Les deux petits boutons et leurs rejetons ont disparu en deux coup de cuillère à pot – au sens propre du terme grâce à Stop-Spots, crème magique que je n’avais pas remarqué plus tôt car noyée dans le bordel personnel d’Amélia. Mon désastre oculaire a été rejoindre les boutons et a été remplacé par un fin trait d’eye-liner, un peu d’ombre à paupière dorée et une bonne dose de mascara –tout compte fait, si je n’avais pas été aussi perturbée, j’aurais (presque) pu en faire autant. J’ai convaincu Lily de laisser ma bouche tranquille, elle qui possède une impressionnante collection de rouges à lèvres –évidemment, elle a la plus belle bouche du monde, ce qui n’est pas mon cas à mon humble avis. Ces anges ont même réussi à faire quelque chose de mes cheveux. Pas grand-chose mais quand même : ils ne partent plus d’un côté ou d’un autre, ils sont lisses et le valent bien.
- Tu peux dire merci à tes copines de ma part, elles me sauvent du désastre.
- Je n’y manquerai pas monsieur le miroir !
- Et elle parle toute seule en plus.
Je retourne dans la chambre sans faire attention à ce rabat-joie et trouve mes amies prêtes pour descendre manger.
-Tu es sûre que tu ne veux pas de cette jupe ? me demande Sandy.
-Oui oui, mon jean me va très bien.
-Attends...
Amélia s’avance vers moi et détache d’un coup sec les premiers boutons de mon chemisier.
-Hééé ! Ca va pas dans ta tête ? On n’a pas gardé les scroutts ensemble que je sache !!
-Cacher à ce point un 90B, c’est de la folie. Oh et ne me regarde pas comme si je t’avais sauvagement déshabillée, on voit même pas ton soutien-gorge.
-T’es sûre que t’es pas un mec en fait ?
-Tu veux vérifier ? propose-t-elle avec un sourire en coin.
-Beuaaarg !!
Chacune d’entre nous recule de trois pas et se précipite vers la sortie sous les rires de la brune.
Arrivée en bas à la suite de Laura, je repère Sirius qui discute de plans super-méga-top-secrets avec ses potes et Pénéloppe Darcy à l’autre bout de la pièce. Je commencerai par le « mature » et j’enchaînerai avec la cruche.
-Hé ! Black !
Il tourne la tête vers moi et je lève l’index et le majeur de ma main droite dans un geste obscène dont je suis sûre qu’il connaît la signification.
-Je t’emmerde. Darcy ?
La concernée lève ses paupières alourdies de khôl et m’observe d’un air dédaigneux.
-Tu sais ce qu’on mange ce soir ?
Une lueur d’incompréhension traverse ses yeux vides et je continue mon petit numéro en faisant semblant d’avoir une illumination.
-Ah oui ! Cervelle d’agneau fourrées aux truffes ! Merci de me l’avoir rappelé !
Je laisse derrière moi une salle hilare et deux abrutis interloqués. Sans plus profiter de mon succès, je m’éclipse vers la grande salle, non sans voir du coin de l’œil Darcy casser sa plume de frustration. Ce que je n’ai pas vu, ni senti d’ailleurs, c’est Sirius Black sourire dans mon dos. Je ne l’ai pas non plus entendu quand il a murmuré pour lui-même.
-Mignonne. Et quelle paire de... |