C’était l’heure du grand départ…
Pour Raïsu, quitter son royaume était une grande première. Effectivement, il n’avait jamais dépassé ses frontières.
Kysha quand à lui gardait son calme habituel, cependant il était évident qu’il n’était guère ravi…
- Horan, tu te souviens de toutes les instructions? – il demanda au tigre jaune, qui allait les accompagner jusqu’aux abords du territoire.
- Oui Kysha. Je m’occupe de diriger le royaume en attendant votre retour, mais j’évite de prendre des décisions importantes. Et je me montre compréhensif envers les habitants pour ne pas renforcer le mécontentement qui règne – récita Horan.
- Parfait. Horan, le prince te fait confiance. Ne le déçois pas.
- Bien… Comptez sur moi.
Les tigres se réunirent avec les mercenaires, eux-mêmes occupés avec leurs propres préparatifs, afin de sortir tous ensemble…
- Keïko, Yusuke! – le prince fit signe de la main aux deux amis, qui les attendaient.
- Votre Altesse! – Keïko s’inclina.
- Bonjour les amis – le jeune tigre sourit – Hm? Savez-vous où est Lucario?
- Ah, ouai – répondit Yusuke – il a dit qu’il nous attendrait hors de la ville.
- D’accord. En route alors!
Comme convenu, Lucario les attendait à l’entrée de la ville… Après avoir salué le prince avec grand respect, il suivit le groupe…
Pouvant utiliser la charrette des mercenaires, les six compagnons purent atteindre les limites du royaume assez vite. Là, Horan fit demi-tour, laissant son souverain s’éloigner…
Après un bout de route, Keïko posa une question qui lui était venue en tête déjà avant, quand elle avait profité d’un moment libre pour discuter avec Horan…
- Votre Altesse – elle hésita – Il y a une question que je voulais vous poser, mais…
- Ah? Allez-y.
- Eh bien, j’ai discuté avec Horan ce matin… Il a mentionné que l’équilibre du royaume était instable à cause de groupes de rebelles, ou je ne sais plus quoi…
- Ah, ça… – Raïsu baissa le regard.
- Pardon, je n’aurais pas du…
- Non, ce n’est rien – il sourit tristement – Je ne bénéficie pas d’un grand soutien de mon peuple…
- Hein? Mais vous êtes un bon souverain! – s’irrita Yusuke – Vous pensez tout le temps à votre royaume!
- Je ne suis pas un bon dirigeant… On m’a même surnommé “l’enfant maudit”…
- Comment ça se fait? – s’étonna la jeune fille – Je serais pourtant d’accord avec Yusuke; vous semblez tellement préoccupé par votre nation…
- Eh bien… laissez-moi vous raconter mon histoire. Je ne sais pas si vous la trouverez intéressante, mais de toute façon ça durera encore pas mal de temps avant d’arriver au bastion.
- D’accord.
- Tout d’abord, vous devez savoir que mon pouvoir de foudre, que vous avez vu l’autre jour, est un don qui se transmet dans la famille royale… Dès que le premier enfant de son détenteur nait, le don passe à cet enfant…
- C’est assez incroyable!
- C’est vrai… – le prince soupira – Mon père était un roi particulièrement aimé… Alors, lorsqu’il perdit ses pouvoirs à ma naissance, on m’a tenu pour responsable.
- Mais c’est insensé! – s’exclama le mercenaire – Si ça se passe toujours comme ça, alors…
- Effectivement – coupa Kysha – mais même en sachant cela, le peuple était peiné de voir ce roi si cher à leur cœur privé de ses pouvoirs. Cette peine était suffisamment grande pour qu’ils ressentent le besoin de la soulager en trouvant quelqu’un à blâmer. C’est une réaction primitive et stupide.
- Kysha! – le prince le calma avant de poursuivre – Vous savez, j’étais très seul quand j’étais petit… Encore plus que maintenant. Je ne pouvais même pas aller jouer avec d’autres enfants, car on ne m’autorisait pas à quitter le château… Et comme les nobles qui nous rendaient visite n’avaient pas d’enfants…
- C’est vraiment injuste… – murmura Keïko – Un enfant doit pouvoir jouer, voir des personnes de son âge…
- Enfin, Kysha était déjà à mes cotés. Mon père l’avait choisi comme garde du corps pour moi… Mais il lui interdisait de me parler plus que le stricte nécessaire, car in ne voulait pas que j’ai trop de contacts directs avec une personne qui n’a même pas de titre de noblesse…
- Quelle connerie! – s’énerva Yusuke.
- Peut-être… – le prince se tut un moment – Un jour, à peu près un an avant la mort de mon père, il est arrivé quelque chose qui changea ma vie…
- Si seulement j’avais été avec lui ce jour là… – Kysha ferma les yeux, rempli de regrets – Si j’avais été présent, nous aurions évité un désastre.
- Kysha! – Raïsu s’irrita – Je t’interdis de dire ça!
- Prince, je ne fais que dire la vérité.
- Non! Ne redis jamais ça!
- Prince…
- Hein? – s’étonna Yusuke – Et qu’est-ce qui s’est passé de si grave?
- C’était le soir. Je m’étais déjà couché, mais comme je n’arrivais pas à dormir, je suis ressorti de mes appartements, et je me suis mis à me balader dans les couloirs, tout seul… Soudain, j’entends un bruit en provenance d’une pièce où personne n’était censé résider. Je suis allé voir…
- Et? – s’impatienta le mercenaire.
- J’ai regardé dans la chambre en question; elle était sans-dessus-dessous. Et au fond, un garçon qui fouillait dans les tiroirs. C’était un adolescent; il portait des habits déchirés, tout aussi sales que sa queue et ses cheveux…
- Un voleur?
- Oui – acquiesça le prince – Quand il me repéra, il lâcha ce qu’il tenait et s’affaissa sur ses genoux. Il savait qui je suis, alors il était convaincu que c’était la fin pour lui: s’il essayait de me tuer, il se ferait rattraper, et si non j’allais le dénoncer…
- Et qu’avez-vous fait?
- Eh bien, j’ai senti qu’il ne me voulait pas de mal… J’étais un gamin à l’époque, mais j’étais conscient du fait que c’était un voleur. Cependant… – il soupira – Je désespérais de rencontrer quelqu’un de plus jeune que tous ces nobles, quelqu’un avec qui parler un peu… Alors, au lieu de crier, je lui ai tendu la main. Il était vraiment surpris! – Raïsu sourit, repensant à ce souvenir.
- Comment il a réagi?
- Après l'étonnement du premier moment, il s’est relevé. Je l’ai alors attrapé par la main, et je l’ai emmené dans ma chambre. Là, j’ai pris une magnifique pierre précieuse qui m’appartenait, et je la lui ai donnée. Il n’en croyait pas ses yeux. Et moi je me suis contenté de lui dire “s’il te plait, tu voudrais bien venir jouer avec moi de temps en temps?”… Après cela, je l’ai aidé à s’enfuir, et j’ai remis de l’ordre dans la pièce où je l’avais trouvé.
- Si seulement je m’étais rendu compte de quelque chose, tout ceci ne serait pas arrivé… – soupira Kysha – Une telle bavure…
- Et après ça? – s’intéressa Keïko – Il est revenu?
- Oui! – sur le visage du prince se dessina un sourire radieux – Quand j’étais dans les jardins, quelques jours plus tard, je l’ai entendu m’interpeller. Depuis ce moment là, il venait souvent… Maintenant que j’y pense, il était plus âgé que moi, et devait s’ennuyer avec mes jeux de gamin. Mais il continuait de venir. Il me fabriquait des jouets avec des brindilles et des feuilles, racontait des histoires,… C’était la seule période de ma vie où j’étais vraiment heureux!
Le prince était incroyablement joyeux en reparlant de ces temps heureux. Son sourire et sa sincérité émurent les mercenaires.
Kysha, cependant, restait morose…
- Et puis… – le regard de Raïsu redevint sérieux – Mes parents sont morts quand j’avais neuf ans… Je fus propulsé sur le trône n’étant qu’un enfant…
- C’était un coup dur pour notre prince – expliqua Kysha – De plus, cela renforçait chez les citoyens cette idée stupide comme quoi il porterait malheur.
- Je n'avais aucune idée de ce que je devais faire… En plus, je devais choisir mes deux Griffes, et je ne savais pas du tout selon quel critère…
- Vous devez savoir – le tigre d’argent interrompit pour éclairer les deux amis – qu’un nouveau souverain doit choisir ses deux conseillers dans la semaine qui suit son investiture. Il n’avait donc pas le temps de faire plus ample connaissance avec les nobles de la cour, pour choisir d’après ses affinités ou intérêts… Et ces rapaces voulaient en profiter! Ils le submergeaient de cadeaux pour gagner ses faveurs, et complotaient dans son dos – furieux, il serra les poings.
- Je ne savais pas quoi faire, alors j’ai pris Kysha comme Griffe Droite… Mais le peuple n’apprécia pas…
- Pourquoi? – interrogea Yusuke.
- Il est normal, depuis le fondement de notre royaume, que les nouveaux souverains choisissent leurs Griffes dans la noblesse… Et moi, je n’y suis pas inclus. Je fais certes partie d’une famille de guerriers reconnus, mais c’est tout.
- Mes citoyens étaient mécontents – continua Raïsu – mais à l’époque je ne comprenais pas vraiment… et puis il me fallait choisir l’autre Griffe… Et là, j’ai pensé à la seule personne que je voyais vraiment comme un ami…
- Ce voleur… – devina Keïko.
- Oui… Imaginez la réaction du peuple lorsqu’ils ont appris qu’après un soldat, c’était au tour d’un voleur, un gamin des rues dans argent ni parents, d’être choisi…
- J’avais bien demandé au prince de reconsidérer ça… – soupira Kysha – Mais il ne voulait rien entendre… Et quand, en plus, j’ai su qu’il le connaissait depuis un an…
- Kysha…
- Enfin, quoi qu’il en soit, ce fut un cauchemar les premiers mois. Les conseillés de rang moins élevé contestaient toutes les décisions du prince. Et il faut dire que mes relations avec la Griffe Gauche n’étaient pas au plus fort non plus… Cependant, le peuple finit par l’apprécier, lui, un orphelin sans héritage, quelqu’un de si proche d’eux…
- Après ça, on a eu quelques années de calme – le prince regarda le ciel – Mais… le Seigneur des Ténèbres a finit par s’intéresser à nous. Il voulait que nous nous unissions à lui… Je ne savais pas quoi répondre, alors j’ai demandé à mes Griffes… Mais ils n’étaient pas du même avis…
- Moi, je disais qu’il faut s’opposer à lui, de toutes nos forces. Mais ce…cette ordure, il trouvait qu’il fallait agréer à la demande du tyran, et ramper devant lui comme des chats domestiques!
- Kysha, s’il te plait… – Raïsu le retint – Il n’était pas d’accord avec la politique de neutralité que j’ai finalement adoptée au vu de leur désaccord… Il y a quelques mois, il a décidé de partir…
- De partir?! – s’énerva la Griffe Droite – Mon prince, ne le dites pas comme ça! Il vous a trahit! Il NOUS a trahit! – il se tourna vers les mercenaires – Depuis le tout premier roi des tigres, jamais il n’était arrivé qu’une Griffe trahisse son souverain! Jamais! Ce bâtard… – tentant de se contrôler, le grand tigre serra fortement ses poings.
- Arrête, ça suffit… – Raïsu baissa les yeux; il semblait sur le point de pleurer.
- Mon prince… Excusez-moi si je me montre si dur, mais vous faire ça… c’est impardonnable. Il vous a tant fait souffrir par ses actes…
- Et vous alors? – Lucario, qui avait écouté en silence jusque là, se fit entendre – Que pensez-vous de votre attitude?
- Pardon? – s’étonna Kysha.
- Vous êtes un guerrier honorable et fidèle… Cependant, vos mots blessent Sa Majesté. Il est bon de dire la vérité, mais parfois il faut penser aux sentiments des autres.
Le tigre d’argent fut déstabilisé par les paroles du Gardien. Il se tourna alors vers Raïsu – Mon prince… vous ai-je fait offensé?
- Kysha… – le jeune souverain baissa les yeux – Tu es un ami qui m’est très cher… Mais lui… il était… Non, il est comme un frère pour moi. Et après tout, même si votre grand frère vous cause quelques ennuis, vous l’aimerez quand-même, non? Enfin, ce que je veux dire… Ça me fait de la peine qu mon ami insulte mon frère…
- Mon prince… – Kysha le regarda un instant, après quoi il s’inclina devant celui qui était son seigneur – Je vous présente toutes mes excuses, je n’étais pas conscient du tort que je vous causais…
- Ce n’est rien Kysha… – il lui posa la main sur l’épaule, se forçant à sourire…
- Je vous admire – admit Yusuke, regardant le prince.
- Ah? Pourquoi?
- Si mon frère m’avait trahit, je ne lui aurais pas pardonné. Je l’aurais poursuivi sans relâche pour le faire payer.
- Yusuke! – s’énerva Keïko.
- Laissez… – le prince sourit – Yusuke. Vous réagiriez vraiment ainsi? Cela ne vous est pourtant pas arrivé, non?
- Non, mais pas besoin pour savoir que c’est ce que je ferais.
- Ce n’est pas aussi simple… Et puis…la fraternité du cœur est plus forte que celle du sang. J’aime mon grand frère, peu importe son sang ou le mien. C’est juste qu’on a pas suivi la même voie… Cependant, je crois encore en lui…
- Votre Altesse… – intervint la jeune fille – Yusuke manque de tact, mais je suis en partie d’accord avec lui. Simplement parce que vous étiez proche de lui étant enfant, vous ne pouvez pas continuer à lui faire confiance après ce qu’il a fait… Je sais que c’est dur, et je compatis, mais les faits sont clairs: il n’éprouve pas la même chose que vous. La preuve; il est passé à l’ennemi.
- Ah… – Raïsu baissa la tête, les yeux remplis de larmes.
- Je ne suis pas d’accord – Lucario les transperça de son regard vif.
- Comment ça? Et puis d’abord, comment t’en saurais plus que nous pour nous dire ça? – s’irrita Yusuke.
- Vous parlez tous beaucoup… Mais est-ce que l’un de vous trois à au moins un frère ou une sœur?
Il eut un long silence, après quoi Keïko prit la parole…
- Mais vous non plus n’en avez pas, non? – elle demanda – Après tout, vous êtes un être unique.
- Il se trouve que j’ai un frère jumeau – affirma le Gardien, à la surprise de tout le monde.
- C’est vrai? – s’intéressa le jeune tigre blanc.
- Oui, Votre Majesté. Nous sommes nés dans la Forêt d’Émeraude, très loin d’ici… Un jour, nos routes se sont séparées. Cependant, même loin l’un de l’autre nous restons frères… – il fit une pause, regardant calmement le prince – Votre Majesté, continuez à croire en votre frère. Croyez en lui de toute votre âme, et de tout votre cœur. Il ne vous a jamais fait de mal, du moins de façon directe et intentionnelle, n’est-ce pas? Alors à moins que cela n’arrive, croyez toujours en lui, faites-lui confiance jusqu’aux limites de vous-même. Si vous y arrivez, bravant ce qu’on a pu vous dire de lui, alors son cœur le saura. Il saura que quoi qu’il arrive il pourra compter sur votre soutien, tout comme vous pourrez compter sur le sien… C’est ça, avoir un frère.
Tous regardèrent le Gardien un long moment, sans dire un mot, repensant à ce qu’il venait de dire…
Au bout d’un moment, Raïsu se mit à pleurer…
- Lucario… – il sanglota – Je… « sniff » je vous remercie… Jamais je n’oublierai ce que vous venez de me dire… Et… « sniff » et je vous jure que je croirai toujours en mon frère… quoi qu’il arrive…
Lucario esquissa un léger sourire, et s’inclina en guise de respect.
De leur coté, les mercenaires, et même Kysha, ne savaient plus quoi dire. Il était vrai que, de façon objective, ils trouvaient toujours que le “frère” du prince n’était pas digne de confiance, cependant…le discours de Lucario les avait vraiment ému, jusqu’au point de leur causer des frissons… Comment répondre quoi que ce soit à ça? Comment briser une telle conviction? Ils ne s’en sentaient pas le courage…
Et voila les amis, le 12ème chapitre est fini.
Ici non plus, aucun nouveau personnage… |