Mais, mais mais ! c'est la suite !
Petit rappel, les répliques/phrases entre crochets sont sensées être en italique :)
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La prophétie du Peuple.
Tome 1 : L'ânkh
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Je jetai un regard au corps de la Noble. Elle devait être haut-placée dans la société pour avoir pu s’acheter tous ces beaux vêtements. Papa avait dit que Maman et lui l’avaient croisée au Palais. Peut-être y résidait-elle ?
Tout à coup, je manquai de trébucher. N’ayant pas vu que nous étions au niveau de l’énorme acacia qui servait de cachette à mon frère et à moi dans notre enfance, je me pris le pied dans une de ses racines. Je faillis tomber par terre, et j’aurais touché le Sol si je n’avais pas utilisé mon pouvoir à temps. La tête à un centimètre de celui-ci, les brins d’herbe pleins de gouttelettes glacées me chatouillaient les narines. Mobilisant ma volonté, je me mis à léviter doucement pour me trouver à nouveau debout. Lloyd et mon père venaient d’accourir.
- Tu vois Isaac ! A force d’être distrait, tu as encore failli y passer ! s’exclama mon frère.
Ahlala, sacré Lloyd… toujours à s’inquiéter de tout ! Bien que son visage soit dans l’ombre, je savais qu’il était livide, car tout son corps semblait trembler – et pas de froid ! Mon père aussi devait être inquiet, mais me voyant en bonne santé, il se contenta de dire :
- Tu ne l’as pas touché au moins ? Dépêchons nous, je vois déjà la fumée de la cheminée dans le ciel. Et bon sang, tu as fait tomber la Noble. Un peu de tenue, c’est une dame de la cour ! ajouta-t-il en rigolant.
Sa réplique acheva de détendre mon frère. Pour activer mon pouvoir et ainsi contrôler le vent – ce qui m’avait permis de léviter – j’avais dû arrêter mon contrôle de l’eau, laissant le corps de la Noble, emprisonné dans la glace, tomber par terre. Du coup, mon « colis » était plein d’herbe et de terre ! Je le nettoierais avant d’arriver à la maison, histoire que Maman ne se rende compte de rien.
En élevant une nouvelle fois la Noble à une hauteur respectable, je me mis à regarder autour de moi. Je connaissais ce chemin par cœur. Les feuillus du bord de la route, aussi majestueux que dans mes souvenirs les plus lointains, dansaient au rythme du vent – un frais zéphyr venant de l’ouest, c’est-à-dire de la ville. L’ombre qu’ils projetaient découpait sur le chemin des formes étranges et pour le moins singulières. Pour un inconnu, il était facile de se perdre, car même si le chemin de terre était bien visible, il y avait plusieurs intersections qui conduisaient tout droit à des ravins et autres gouffres. Et la lune de ce soir, tant que ses rayons étaient convenablement dirigés, complétait la scène à merveille. On se serait cru dans un des livres que Papa nous obligeait à lire quand nous étions encore gamins.
En effet, Papa et Maman étaient précepteurs au Palais. Ce bâtiment, parfois appelé aussi le « Château », était la demeure de Sieur Edgy – le maître de notre ville d’Onega – et de sa cour. Située à l’extrémité ouest d’Adamantÿa, Onega était un poste de commerce important avec les peuples de l’Occident. Au Palais, Papa enseignait aux enfants en bas âge la lecture, l’écriture et les mathématiques. Ma mère apprenait quant à elle aux jeunes filles Nobles tout ce qui faisait une parfaite épouse : l’art de la table, du ménage, et de la lame – car qu’une femme sache défendre son mari était tout aussi essentiel que l’inverse. Dans ce domaine elle était bien la meilleure, disait souvent mon père. Ainsi, malgré le fait que nous étions des personnes appartenant au Peuple, Lloyd et moi avons pu, en toute illégalité bien entendu, apprendre les sciences réservées aux Nobles.
Sans y penser, j’avais parcouru une bonne centaine de mètres et j’avais pénétré dans notre jardin, suivant mon frère et mon père. Notre maison était, somme toute, exceptionnelle ! Bâtie par un architecte dont le pouvoir était de retranscrire sur papier tout ce qui lui passait par la tête, elle était plutôt étroite, mais paraissait s’élancer à l’assaut du ciel étoilé, car dotée de trois étages. La cheminée fumait effectivement, et ce fût Lloyd qui poussa la porte d’entrée en premier.
- Huuummm, Maman, ton thé sent toujours aussi bon ! s’écria mon frère.
Une voix lui répondit depuis l’intérieur de la cuisine.
- Je l’espère bien, et si tu oses dire qu’il est mauvais, je vais chercher le balai et tu vas voir ce que tu vas prendre !
Mon frère entra dans la pièce, faisant mine de défaillir suite à la « menace ». Et pourtant, Maman n’était pas une personne à prendre à la légère ! Toute en hauteur, ses cheveux d’un roux foncé soigneusement attachés en catogan sur sa nuque, elle riait légèrement, ce qui animait son visage de façon très agréable. Ses yeux étaient profonds et verts, et son regard, tantôt sévère, tantôt doux, pouvait vous glacer sur place comme si c’était son pouvoir. Elle n’était ni fine, ni enveloppée, et les humbles vêtements qu’elle portait n’étaient pas faits pour la mettre en valeur… C’était cependant le quotidien des gens du Peuple : longue robe grise et fine veste pour les dames, et fuseau de la même couleur pour les hommes, accompagné d’un haut qui pouvait être de n’importe quelle couleur, pourvu que ça soit gris !
Et pourtant, l’expression de son visage la rendait très attirante. Papa avait eu du goût, c’est certain. Qu’elle était belle quand elle se mettait à rire – je me mis aussitôt à prier pour que mon frère n’ait pas l’idée saugrenue de lire dans mes pensées bien que je le lui ai interdit…
Je jetai alors un coup d’œil à Papa, qui chuchotait quelque chose à l’oreille de Lloyd. C’était le portrait craché de mon frère, en plus grand et un peu plus musclé. Ses cheveux étaient courts et bruns comme les miens, et ses yeux noirs donnaient l’impression qu’il était imperturbable dans tout ce qu’il faisait. Il avait le même âge que ma mère, c'est-à-dire un peu plus de quarante ans, et des rides avaient déjà commencé à barrer son front, signe qu’il riait souvent.
- Lloyd, dépêche toi de te servir, j’ai soif moi aussi ! Et n’en fiche pas partout, pour une fois.
J’adorais le taquiner. Et même si cela l’énervait énormément, j’étais certain qu’il savait que je ne me moquais pas de lui juste pour le blesser. Depuis tout petit, bien qu’étant le petit frère de quelques minutes, je m’efforçais de paraître plus mature que lui… et pas simplement pour l’embêter ! Peut-être que j’avais quelque chose à lui prouver…
Toujours est-il que je me reçus un bout de toast à la figure !
J’avançai dans le couloir, la Noble toujours congelée et en lévitation à quelques millimètres du carrelage. Étroit et sombre, des meubles en bois noir rangés le long du mur de gauche, le dit-couloir ne comportait aucune fenêtre. Et pour cause ! Il était situé au sous-sol, et on y accédait par un escalier dissimulé sous une trappe de la cuisine. Mes parents m’attendaient dans une des pièces de la cave en question, celle qui était située le plus au fond. Étant donné que le corridor était long de plusieurs dizaines de mètres, j’étais certain que je ne me trouvais plus en dessous de la maison, mais quelque part sous le jardin. La température, plus fraîche qu’à l’entrée du couloir, me le confirma.
A la faible lueur des torches, je regardais des livres entassés sur une étagère. Mes parents n’étaient pas pressés, je choisis donc de poser la Noble et pris un grand livre d’histoire intitulé « Adamantÿa, de mémoire d’homme ». La page de couverture était une peinture d’un célèbre artiste, et représentait une vue de la capitale du royaume : Taïmyre. Mobilisant mon pouvoir, je saisis la flamme d’une torche et l’amplifiai pour mieux m’éclairer. Il était tard et je tombais de sommeil, ce qui fit que je n’obtins qu’un résultat plutôt médiocre, toutefois suffisant pour que je puisse lire.
Papa nous avait déjà expliqué les grandes lignes de l’histoire de notre royaume, mais je me doutais que ses connaissances lui venaient de ce livre. C’est pourquoi, à chaque fois que je passais seul dans ce couloir, je ne pouvais m’empêcher d’en lire un passage.
J’ouvris le livre au hasard, et j’allais commencer à lire lorsque je me rendis compte que des pages manquaient. Bon sang, celui qui avait fait ça avait pourtant camouflé son passage ! On ne remarquait presque pas que des pages avaient été retirées : leur numéro avait été modifié, la reliure refaite… Du travail d’artiste. Je ne m’en serais pas douté le moins du monde si le passage que je voulais lire avait commencé normalement… Mais ce n’était pas le cas.
Après une bonne dizaine de minutes de lecture, j’entendis du bruit derrière moi. Mon frère me regardait, un sourire aux lèvres.
- [Tu sais pourquoi je ris, Isaac ? ] me demanda-t-il par la pensée.
- [Absolument pas. Mais tu vas me le dire, n’est-ce pas ? ]
- [Bien sûr, crétin ! En fait, c’est très simple. J’ai remarqué ton air abasourdi. En plus, tu tiens « Adamantÿa, de mémoire d’homme » dans tes mains. J’en ai conclu que toi aussi, tu viens de remarquer qu’il y avait eu un gros trafic de pages ! ]acheva-t-il.
Le voyant rire de plus belle, j’imaginais alors l’air de totale déconfiture que je devais aborder… ce qui me fit rire à mon tour ! Une fois calmés, j’enchaînai :
- [Alors comme ça, tu lis aussi ce livre en cachette ! Je croyais qu’on devait tout se dire ! ]
- [Tu peux parler, toi, tu le lis aussi ! ]
- [Quand est-ce que tu as remarqué qu’il manquait des pages ? ]
- [Pas plus tard que cet après-midi ! C’est pour ça que je suis arrivé en retard pour dîner. Alors tu as remarqué, Papa ne nous a pas tout expliqué sur cette histoire de Sol. Il faudra l’embêter demain matin pour qu’il nous raconte tout ! En attendant, je crois qu’ils nous attendent. Dépêchons-nous, je meurs de fatigue. ]
Acquiesçant, je reposai le livre à sa place. Je me retournai et, sans oublier la Noble qui commençait déjà à fondre à côté de la torche, je commençai à marcher vers la pièce où nos parents devaient nous attendre. En y repensant, je trouvais plutôt comique que Lloyd et moi lisions la même chose en même temps. S’il en avait été autrement, il est probable que l’un ait senti que l’autre lui cachait quelque chose. Quelle chance j’avais d’avoir un frère jumeau ! Non content d’être votre portrait craché, il ne peut pas s’empêcher de fourrer son nez dans tout ce que vous entreprenez !
Sur ces considérations, j’atteignis la fin du couloir. La porte de la pièce – une espèce de bureau – était entrouverte. J’allais entrer quand Lloyd me retint par le bras.
- [Ne rentre pas, andouille, tu entends bien qu’ils parlent de nous ! Et ça a l’air de chauffer ! ]
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« Adamantÿa, de mémoire d’homme »
[Chapitre XLIV] page /… /
… C’est pourquoi, depuis ce moment, personne ne peut toucher le Sol sans subir ces effets-là, terribles pour l’être humain.
Suite à ces évènements, des expériences ont été menées. Les conclusions des travaux de dizaines de médecins et d’alchimistes sont répertoriées ici :
- la consistance du Sol n’a pas changé.
- il nous est possible de sortir, du moment qu’on ne touche pas le Sol avec notre peau.
- toute la faune est capable de fouler le Sol, sans conséquences néfastes.
- Des gens du Peuple, un ramassis de voleurs et de mécréants, ont été contraints, par la Section du Sabre Rouge, de toucher le Sol. S’en sont suivis une série d’études du comportement de ces « cobayes ».
Dans 100% des cas, les sujets ont trouvé la mort.
-> Dans 10% des cas, la mort est instantanée. Les expériences ont démontré que c’était le cas pour des sujets déjà affaiblis physiquement.
-> Dans 36% des cas, la mort est survenue entre un jour et une semaine après la mise en contact.
-> Dans 54% des cas, la mort est survenue entre une semaine et un an jour pour jour après la mise en contact.
Dans 100% des cas, une intense période de douleurs et de souffrances a précédé la mort. Certains cobayes ont perdu la vue, d’autres l’ouïe, d’autres plusieurs sens différents. Un de ces cobayes possédait un pouvoir. Il l’a perdu définitivement après un mois sans pouvoir communiquer ni ouvrir les yeux.
Les souffrances sont une des causes principales de la mort survenue chez ces cobayes du Peuple. Il est certain que s’ils n’étaient pas sous contrôle de la Section du Sabre Rouge, 100% des patients se seraient donné la mort. |