Jeudi 12 avril (6ème année de guerre)
« ... au sud du pays, la guerre a encore fait des ravages. On déplore deux villages détruits dans leur intégrité, le nombre de victimes est encore indéterminé, mais les médecins s'acharnent à leur tâche le plus efficacement possible. Il semblerait que les démons en aient après cette région pour des raisons que nous ignorons encore, car cela fait le quinzième village dévasté ce mois-ci dans ces environs, nous ne savons pas encore si ses attaques perdureront, mais ... ».
- Ça suffit, j'en ai assez entendu parler ... encore et toujours les mêmes discours ... ronchonnai-je à mon vieux poste radio tout en l'éteignant.
Je m'étalais sans retenue sur mon étroit et vieux lit grinçant, la fatigue me lancinait depuis plusieurs jours déjà. Plongée dans mes pensées, je faillis me rendormir, mais l'atroce et stridente sonnerie du pensionnat me rappela à l'ordre. D'un geste machinal et robotique, j'attrapai la hanse de mon sac qui trainait par terre, enfilai la première veste qui me passai sous la main, ouvrit la porte, la fermai à clé, et partis ... en cours. A 20 ans, en plein temps de guerre, se contenter d'aller gentiment en cours était une des choses qui me dépassait au plus haut point, mais certaines circonstances m'avaient obligées à le faire. Cela faisait depuis seulement douze jours que j'étais ici, mais pour moi, ça me paraissait déjà une éternité. Tous les jours se passaient de la même manière, c'était ennuyeux à mourir ... une routine détestable. Mais aujourd'hui, au moment de passer le seuil de la porte de la salle de cours, j'eus ce petit déclic, cette sensation bien connue que j'avais parfois, et qui annonçait une sorte de pensée prémonitoire. Je ne sais pas exactement si ce genre de chose était normale chez un être humain, mais je n'en ai jamais parlé à personne, je considérai ça comme un don un peu spécial, une chose dont j'étais d'ailleurs plutôt fière. Mais qu'on s'entende bien, je n'étais pas ce qu'on appelle : une humaine ordinaire. Certains événements étranges m'ont mené à cette conclusion, mais je ne préfère pas non plus trop m'attarder sur cela pour l'instant. En ce moment même, je me considérai comme une étudiante normale, lassée d'aller en cours, qui ne pense même pas à la guerre et à toutes ces atrocités qui se déroulaient en permanence un peu partout dans le monde.
- Bouge de là, t'es dans le passage ! Me vociféra quelqu'un d'une voix bien peu aimable.
Silencieusement, je me poussai du passage en jetant un regard noir à la personne qui venait de me faire cette réflexion. Je préférai ne rien lui dire, c'était le genre de personne à s'emporter pour un rien, je ne voulais pas faire de vagues, j'avais pressenti qu'en lui répondant, ça n'aurait fait qu'envenimer la situation. J'allais donc m'asseoir à ma place, perturbée par cette pensée prémonitoire que j'avais eue en traversant le seuil de la porte. Jamais encore je n'en n'avais eu d'aussi sombre et indécise car d'habitude, elles étaient toujours très claires et précises. Celle-ci me semblait bien différente que toutes celles que j'avais eu précédemment, elle semblait beaucoup plus profonde, comme inaccessible ; cachant un secret qu'il ne fallait pas que je découvre. En pleine réflexion, je n'aperçus même pas, professeur Détestable enter dans la salle. Professeur Détestable n'est que le surnom que je lui donne car, dès les premiers instants où je l'ai vu, j'ai eu la claire sensation que le courant ne passerait pas entre nous, et, comme s'il avait lu dans mes pensées, il se mit à alimenter ce sentiment qui devint réciproque. Mais quelque chose me disait aussi qu'il en savait plus qu'il n'en paraissait. Étant placée juste à côté des fenêtres, je préférai diriger mon regard sur le soleil qui se levait timidement, plutôt que sur la tête de professeur Détestable. La fatigue me pesant lourd, je me mis très rapidement à divaguer dans mes pensées, loin de cette ennuyeuse salle de classe, mais comme il fallait que je m'y attende, la baguette préférée de professeur Détestable vint frapper d'un coup sec et efficace sur mon bureau, me faisant sursauter et me tirant brusquement de mes rêves inaccessibles. Ce qu'il pouvait être énervant avec cette baguette, comme un chef d'orchestre, il ne la lâchait que pour écrire au tableau.
- Mademoiselle Tenchi, vous n'êtes pas une exception dans cette classe, je vous prie donc d'accueillir ce nouvel élève comme vos camarades.
Sa façon de parler m'énervait aussi, j'avais l'impression qu'il s'adressait à moi comme à une gamine de primaire. Néanmoins, intriguée de voir une nouvelle tête dans l'établissement attisa fortement ma curiosité ; je daignai donc de tourner la tête en sa direction. Ce que je vis en premier n'est pas ce nouvel élève, mais une aura atrocement puissante et maléfique qui l'enveloppait. Jamais je n'avais vu une telle aura émaner d'une seule personne, elle était supérieure à une horde de démons déchainés. Cette personne possédait en elle un concentré de terreur, et un déclic vint faire son apparition au moment où nos regards se croisèrent. Encore un genre de prémonition que je n'avais encore jamais rencontrée, celle-ci m'emplit d'une sensation très désagréable, me donnant limite la nausée et me tordant les tripes. Un court instant, je me sentis très mal, j'eus de violents vertiges et du me retenir à la table pour ne pas perdre l'équilibre mais cette sensation était trop puissante, comme si l'air ambiant venait à me compresser le corps. Ne pouvant plus lutter, je m'évanouis. |