Lundi 18 juin (6ème année de guerre)
Deux mois exactement c'étaient écoulés ; à une vitesse fulgurante. Les vacances approchaient à grand pas. Malheureusement. En ce laps de temps, tous mes doutes, mes peurs et mes appréhensions semblaient s'être envolés très loin. Grâce à Shu. Quand j'avais dit que lui seul pouvait me sauver du naufrage, j'avais raison ; mais pour combien de temps encore arrivera-t-il à me maintenir en surface ? J'avais la désagréable impression que cette situation me mettait dans un équilibre instable. C'était peut-être mieux qu'un déséquilibre total, mais je ne pouvais pas m'empêcher d'avoir peur. D'avoir peur que la moindre chute me soit fatale. Ces deux mois avaient continué à tisser contre ma volonté des liens avec Shu ; des liens si forts qu'absolument rien ne pourrait les briser. Nous étions à présent liés par une force supérieure à tout. Une autre chose me faisait peur : cette sombre et profonde prémonition qui revenait à présent chaque soir, me remplissant d'insupportables tourments.
L'affreuse sonnerie du pensionnat m'extirpa de mes sombres pensées. Machinalement, comme chaque matin, je me rendis en cours, suivant le modèle de cette exécrable routine. Professeur Détestable était toujours au rendez-vous à l'heure, profitant de la moindre occasion pour me faire une remarque. Mais ce jour-ci, il fut particulièrement odieux avec moi, alimentant ma mauvaise humeur. A l'heure du déjeuner, je partis m'isoler sur un banc à la lisière de la forêt surplombant le pensionnat. Le vent était particulièrement fort aujourd'hui. N'ayant pas attendu Shu comme d'habitude, ce fut lui qui vint me retrouver.
-Ca va Aka ? Tu n'as pas l'air en forme ? Me demanda-t-il d'un air inquiet.
Je me retournais vers lui faisant mine d'aller bien :
-Ne t'inquiète pas, tout va bien.
Mais je fus tellement peu convaincante que j'étais sûre que Shu ne me crut pas une seule seconde, vu l'air grave de son visage :
-Pourquoi le prof te déteste autant ? Il s'est passé quelque chose entre vous ? C'est comme ça depuis le début de l'année j'ai remarqué ... c'est ça qui te tracasse ?
-Non ... il ne s'est rien passé. Arrête de t'inquiéter pour moi, je t'ai dit que tout allait bien !
Mentir est une des choses que je ne savais pas du tout faire, et encore moins devant Shu ; qui me connaissait parfaitement. Je commençais à sentir une tension naissante qui me mit très vite mal à l'aise.
-Bon, mangeons, on parlera de ça plus tard ! Déclara Shu en changeant radicalement de sujet, voyant que je ne n'étais pas prête à lui révéler quelques secrets de mon passé.
-Désolé mais je n'ai pas très faim ... rétorquais-je en détournant mon regard du sien.
Je m'apprêtais à me lever pour partir, mais je sentis sa main se poser sur mon épaule. Avant qu'il ne dise quoi que ce soit, je la saisis et l'enlevais :
-S'il te plait ... laisse-moi ... lui soufflais-je, oppressée.
Le ton de ma voix et mon comportement empêchèrent Shu de me retenir d'avantage. Il me laissa partir sans mot dire. En deux mois, tout c'était bien passé entre nous, sans aucune tension, ni rien. Mais là, je sentais que quelque chose avait changé entre nous ; tout d'un coup. Je n'avais encore jamais vu d'expression aussi sincère sur son visage que celle de tout à l'heure. Il était vraiment inquiet à mon sujet. Il avait réussi à saisir mes sentiments les plus profonds, ce tourment qui me torturait. Pour la première fois de ma vie, j'eus peur de mes sentiments. Ce profond attachement que j'avais à Shu me terrifiait. Je ne voulais pas dépendre de lui, et pourtant c'est ce que j'avais fait inconsciemment. Depuis la rentrée, il est ma seule source de bonheur. Si j'arrive chaque jour à m'évader de mon quotidien, c'est entièrement grâce à lui. J'étais à nouveau perdue. Il fallait que je fasse le point.
Mercredi 20 juin (6ème année de guerre)
Depuis lundi, je n'avais quasiment pas fermé l'oeil de la nuit. Hier, j'ai été m'excuser auprès de Shu pour mon comportement, mettant ça sur le dos de la fatigue que j'avais accumulée durant le week-end. Il a pris ça à la légère en disant qu'il n'y avait pas de problème, et cette petite altercation fut oubliée. Une fois les cours du matin terminés, je rentrais à ma chambre au pensionnat histoire de prendre quelques affaires pour l'habituel cours de bô-justu de l'après-midi. Voyant qu'il me restait un peu de temps à tuer avant la séance, je m'allongeais sur mon lit, mais ma fatigue eut très vite raison de moi. Quand je me réveillais, me rendant compte que je m'étais assoupie, j'enfilais en vitesse ma tenue de bô-jutsu et courus jusqu'à la salle d'arts martiaux sans même me renseigner de l'heure qu'il était. Arrivée sur place, je vis que le matériel était en place mais personne n'était dans la salle. J'entendais des discussions provenant de la douche. La séance était terminée. J'allais jeter un coup d'oeil dans le lugubre et sombre entrepôt du matériel quand soudain, je sentis derrière moi deux mains se saisir fermement de mes épaules. Surprise, mon coeur fit un bond.
-Je t'en supplie ... arrête de te surmener ... m'implora faiblement une voix tremblante que j'aurais reconnu parmi des centaines.
-Shu ...
La simple idée de me retourner me terrifiait. Je ne voulais pas voir quelle expression se peignait sur son visage, rien que le fait de me l'imaginer me serrait le coeur.
-Arrête de cacher tes peines derrière ton rire et tes sourires, continua Shu sur le même ton. Je ne suis pas idiot, je vois clairement que tu es fatiguée. Je vois clairement que tu souffres. Depuis tout ce temps, je ne t'ai rien dit, mais au fil du temps, je m'aperçois que ça va finir par te détruire ...
D'une manière un peu brutale et maladroite, de ses mains tremblantes, il me retourna contre le mur de façon à ce qu'il puisse me regarder droit dans les yeux :
-... et je ne veux pas que cela arrive, finit-il sa phrase avant de me serrer dans ses bras. J'aimerais tant que tu m'ouvres ton coeur ...
Je ne trouvais pas les mots pour exprimer ce que je ressentais en cet instant. Les sentiments qui s'emparèrent de moi furent indescriptibles, peut-être parce que je ne réussis pas à les comprendre. La détresse du Shu était palpable à mains nues, et je ne savais absolument pas comment m'y prendre pour la calmer. Durant tout ce temps, avais-je été aveuglée au point de ne pas saisir ses réelles pensées ? J'avais été vraiment trop simple d'esprit de croire que cette situation confortable durerait pour toujours.
-Aka ... me murmura-t-il doucereusement tout en effleurant sensuellement ses lèvres des miennes. Je t'aime ... |