Vendredi 7 décembre (5ème année de guerre)
Depuis la mort d'Oba et Oji, je n'avais cessé de marcher, encore et encore, sans dormir, ni manger, ni boire ... Je ne savais pas combien de temps il s'était écoulé depuis cet incident. La tempête de neige faisait toujours rage, le vent fouettait sans pitié toutes les parcelles de mon corps, me gelant jusqu'aux os. J'avais beau regarder devant, derrière, à droite, à gauche ... il n'y avait rien d'autre que du blanc, du blanc et encore du blanc. Je ne voyais même pas le ciel. Mes ailes s'étaient rétractées, laissant dans mon dos deux larges cicatrices dont la douleur était en permanence attisée par l'air glacial. Allais-je mourir ici ? Après tout, ça ne serait pas une si mauvaise idée, plutôt que d'être poursuivie toute ma vie par les démons ...
Samedi 8 décembre (5ème année de guerre)
J'ouvris les yeux. Ma vue était brouillée. Le froid m'avait pétrifiée. Étalée par terre, je n'arrivais pas à trouver la force de me relever. Je me sentais faible, si faible. De violents vertiges faillirent me faire perdre à nouveau conscience. Il fallait au moins que je trouve à boire si je voulais survivre. La neige ... n'était-ce pas de l'eau gelée ? J'en pris une petite poignée dans ma main, et l'avalais. Je sentis ce froid si intense me brûler de l'intérieur. Mais finalement résolue à ne pas mourir, je n'avais pas le choix.
Dimanche 9 décembre (5ème année de guerre)
-... hé ... ohé ... !
Une faible voix parvint à mes oreilles, mais avant même d'avoir le temps d'ouvrir les yeux, je me sentie brutalement soulevée du sol. Paniquée, je repoussais l'homme qui avait tenté m'aider et tombais par terre. J'avais tellement eu peur que ça soit un démon ...
-Dis-moi, qu'est-ce que tu fais là ? Me demanda cette mystérieuse personne en s'accroupissant à mon niveau.
Son visage était trop près du mien à mon goût. Je reculais, mais rien à faire, il se rapprochait. Je n'aimais pas du tout la façon dont il me regardait, pourtant il n'avait pas l'air hostile.
-Tu t'es perdue ?
-On peut dire ça comme ça ... lui répondis-je.
C'était étrange, mais je ne le sentais pas digne de confiance.
-Alors viens avec moi, me proposa-t-il en me tendant sa main.
En regardant cette main, je sentis un déclic et une sensation désagréable s'empara de moi, m'ordonnant de fuir. Mais pourquoi fuir l'aide de quelqu'un alors que j'étais au bord du gouffre de la mort ? La sensation se faisait de plus en plus forte, m'empêchant de saisir cette main. Je ne comprenais pas quelle était l'origine de cette volonté plus forte que la mienne. Voulait-elle ma mort ? Si c'était le cas, moi je ne voulais pas. Je saisis la main de l'homme, et en même temps un malaise m'envahit, m'imposant encore de fuir. Était-ce ma conscience ? Une sorte de prédiction du futur ? Je ne préférais pas y penser pour l'instant.
-Au fait, comment tu t'appelles ?
-Tenchi Aka.
-Et moi c'est Kusanagi !
Mardi 27 mars (6ème année de guerre)
Ce jour là, quand j'avais pressenti qu'il fallait que je fuis, je ne m'étais pas trompée. Depuis ce jour, ma vie était devenue un enfer. Certes, j'avais été sauvée, mais ces réjouissances furent de très courte durée. J'étais devenue la bonne à tout faire de Kusanagi, et quand je dis à tout faire, c'était absolument tout. En échange de ça, il me logeait et me nourrissait gratuitement ; mais c'était un homme mauvais, et ça je l'avais senti dès que j'eus croisé son regard pour la première fois, comme si j'avais lu en lui comme dans un livre ouvert. S'il se contentait de me dire de faire ci et ça, ça m'aurait été, mais j'étais aussi son souffre-douleur, celle sur qui il passait toutes ses colères, ses frustrations. Il me frappait sans retenue et me torturait pour son propre plaisir. Depuis que j'étais ici, fuir était la seule chose qui occupait mon esprit. Mais pour aller où ? La guerre faisait rage partout dans le monde, et je n'avais pas d'argent. De plus, il m'était impossible de sortir d'ici. Il m'enchaînait en permanence, comme s'il avait paré à cette éventualité. Quant à la clé qui permettrait de me libérer, il la gardait sur lui en permanence. Kusanagi ayant un physique très imposant, je n'avais aucune chance de m'en emparer. Allais-je être condamnée dans cet endroit jusqu'à la fin de mes jours ? Non. Je ne le voulais pas. Absolument pas.
Jeudi 29 mars (6ème année de guerre)
Mais un jour, ce sombre jour, tout bascula. Kusanagi avait été trop loin. Vraiment trop loin. Ce mystérieux pouvoir enfermé en moi se libéra, mais il fut complètement différent de la première fois ; le jour où j'eus découvert que j'étais un ange. Cette fois-ci, pas d'ailes ne me poussèrent dans le dos ; je me sentis seulement enveloppée d'une sombre aura de force écrasante, contrôlée par mon unique volonté.
-Libère-moi de ces chaînes, me contentais-je de penser, et en une fraction de seconde, ces mêmes chaînes volèrent en milliers d'éclats.
-Empêche Kusanagi de s'approcher de moi, pensais-je à nouveau, et comme un mur invisible se dressant devant moi, Kusanagi ne put m'approcher, de quelque manière que ce soit.
Mais ma souffrance était telle que ma volonté subconsciente blessa Kusanagi, comme un coup de couteau invisible, rapide et précis, une profonde cicatrice apparut sur son visage, avant d'être violemment projeté contre le mur où le choc lui fit perdre connaissance. La pièce était sens dessus dessous, et dans un bout de miroir brisé par terre, j'aperçus mon effrayant reflet, et me rendit compte avec effroi que mes yeux avaient perdu leur couleur. Je n'avais strictement aucune idée de ce qu'il se passait, mais tout ce que je pouvais dire, c'est que c'était étrange. Pour la première fois de ma vie, je me mis à avoir peur de moi-même, de qui j'étais vraiment. Si être un ange impliquait avoir un tel pouvoir, je n'en voulais pas. Je voulais tout simplement être une humaine normale, pas une sorte de monstre. Mais ça n'était pas le principal problème pour l'instant. Je devais fuir, n'importe où, mais je devais fuir ; quitter cet enfer. Fébrilement, je me mis à fouiller partout à la recherche d'un peu d'argent et de vivres. A mon âge, je devrais pouvoir me débrouiller pour trouver un travail, peu importe de quel ordre il serait, tant qu'il me permettrait de pouvoir continuer à vivre. Et après ? Que ferais-je ? Quel avenir allais-je avoir ? Tellement de gens mouraient à cause de la guerre en ce moment. C'était plutôt effrayant. Tuer ou être tuée, c'était malheureux à constater, mais c'était la loi qui régissait ce monde. Quitte à choisir mon camp, je préférais tuer. C'est comme ça que me vint l'idée de rentrer dans l'armée.
Je savais qu'il y avait un quartier général de l'armée pas loin d'ici, et il ne me fut pas difficile de le trouver. Vu la petitesse des lieux, le bureau du colonel fut très facilement trouvable. Mais à la seconde près où je m'étais apprêtée à frapper à la porte, un déclic me parvint. Fuir. Encore fuir. C'est ce que je pus interpréter. C'était exactement la même sensation que la fois où j'avais rencontré Kusanagi. Il me fallut un long moment d'hésitation avant de me résoudre à finalement quand même frapper à la porte. Je savais quel avenir m'attendait en frappant à cette porte, et je m'étais résolue à l'affronter. Je ne pourrais pas fuir éternellement. J'entendis un « entrez » d'une voix grasse de l'autre côté de la porte. A l'instant même où mon regard croisa celui du colonel, je sus immédiatement ses intentions, ses désirs, ses ambitions, tout. Le destin était parfois un peu trop cruel à mon goût.
Tout se passa comme je l'avais vu dans ma prédiction, au détail près. Ce ne fut qu'après avoir cassé en deux son bureau sous l'influence de cette aura mystérieuse en ayant donné un coup de poing dessus, un peu énervée, qu'il accepta finalement de me prendre en tant que simple soldat dans l'armée, sous certaines conditions dont la première était d'aller au lycée afin d'obtenir mon diplôme, condition normalement obligatoire pour rentrer dans l'armée ; mais le colonel avait accepté de faire abstraction de cela en l'échange de quelques extras que je lui devrais obligatoirement.
Tuer ou être tuée, j'avais désormais choisi mon camp. J'avais pensé qu'à partir de ce moment, mon avenir serait scellé jusqu'à la fin de mes jours, mais les choses ne sont jamais aussi simples que ça. Comparé à ce qui m'attend vraiment, cette vie aurait été bien confortable. Mais j'étais un ange, avec tous les aléas que cela représente et tôt ou tard, les démons mettront à nouveau la main sur moi afin de me tuer. |