Lundi 25 juin (6ème année de guerre)

-Tu ne devrais pas sécher les cours pour me tenir compagnie ...
-Je m'en voudrais de te laisser toute seule, et puis en plus, c'est toi qui a tenu à ne pas être emmenée à l'infirmerie.
-Dis-moi, tu as peur du sang ? Demandais-je à Shu, changeant ainsi de sujet de conversation.
-Quoi ? S'étonna-t-il, détournant son regard.
-Idiot ! Pensais-je. A la façon dont tu as réagi hier à la vue de quelques gouttes de sang, il n'y a aucun doute à avoir sur ce sujet ... même si tu ne voudras sans doute jamais me l'avouer.
Un silence s'ensuivit, où je remarquais un changement d'expression sur le visage de Shu qui devint plus sérieux. D'un coup, il se retourna vers moi, me fixant :
-Qu'est-ce qui t'as pris de t'engager à l'armée ? Me questionna-t-il d'un ton excessif et nerveux. Devenir le chien de ces imbéciles est une des pires choses qui puisse arriver en ce monde, t'en rend-tu compte au moins ?
-Moins pire que de mourir en tout cas ... Crois-tu que j'ai vraiment eu le choix ? M'emballais-je en haussant un peu trop le ton. Comment allais-je survivre sans abri ni argent dans ce monde pourri ?
-Pardon, j'ai parlé sans réfléchir ... s'excusa Shu, un peu surpris de mon soudain haussement de ton.
-Non, c'est à moi de m'excuser. J'aurais pas du te crier dessus.
Un nouveau silence s'ensuivit, limite gênant à la suite de cette petite querelle. Shu vint s'asseoir à côté de moi sur le lit, et passa ses bras autour de mes épaules en signe de réconfort.
-L'avenir de la Terre est condamné ... déclarais-je d'un faible ton. Cette lutte de démons contre humains est vouée à l'échec depuis le début ...
-Moi je suis persuadé que les choses vont bientôt pouvoir changer, rétorqua Shu d'un ton qui me paru un peu trop assuré, mais qui suffit tout de même à me redonner un peu confiance en moi.
Je me levais pour m'apprêter à partir, mais Shu me retint par le bras.
-Tu comptes aller où comme ça ? Me demanda-t-il, sérieux. Tu ferais mieux de ne pas trop t'agiter, tes blessures sont encore trop fraîches pour ça.
-Ne t'en fais pas, ça ira. Je compte aller en cours, j'en rate suffisamment comme ça, je ne voudrais pas redoubler, ça risquerait de me causer pas mal de problèmes par la suite ...
-Bon, je viens avec toi dans ce cas. Nous ne sommes encore que le matin, nous ne devrions pas avoir trop de problèmes pour notre retard.
Les couloirs du pensionnat à cette heure-ci étaient déserts. Le bruit de nos pas résonnaient étrangement et, en fermant les yeux, ce son devenait légèrement effrayant. Je saisis fermement la main de Shu.
-Depuis notre rencontre, j'ai su que je n'aurais plus jamais à affronter la solitude, lui avouais-je en le regardant. A tes côtés, je me sens pouvoir affronter n'importe quoi.
-Tu ne devrais pas devenir trop dépendante vis-à-vis de moi, je ne pourrais pas constamment t'apporter que de bonnes choses.
Le ton froid de sa réponse me surpris et me fâcha un peu :
-Pourquoi tu restes avec moi alors ? Si je ne dois pas m'attacher à toi, tu n'as cas disparaître de ma vue ! Idiot ...
-Ça ne regarde que moi, et puis les choses sont beaucoup plus complexes qu'elles n'y paraissent.
-Ça suffit comme ça ! M'emportais-je en le plaquant littéralement contre le mur et en le regardant droit dans les yeux. J'ai l'impression que tu me caches constamment des choses ! Non ... ça n'est pas qu'une impression, c'est une certitude : tu me caches des choses. Depuis la première fois que je t'ai vu, je perçois en toi quelque chose de tellement sombre et profondément enfoui que je n'arrive pas à voir très précisément ce que c'est. Ces choses te concernent et tu as le droit de les garder secrètes, mais depuis peu, j'ai l'impression que tu sais aussi des choses sur moi que je ne connais pas et que je serais sensée savoir, alors j'aimerais savoir ...
-Il serait mieux pour toi de ne rien savoir.
Cette réponse me désespéra un peu, mais fit retomber la colère qui était soudainement montée en moi :
-Bon, laisse tomber, déclarais-je, résignée. Ne nous mettons pas plus en retard que nous le sommes déjà.
-Je t'aime, est une des raisons pour lesquelles je reste à tes côtés, me confessa Shu maladroitement.

Le cours se passa comme d'habitude d'une lenteur à mourir, et pour parfaire les choses, dehors, il s'était mis à pleuvoir des cordes. À la fin du cours, au moment de ranger mes affaires, mon mouchoir tomba de mon sac et à sa vue, quelque chose me frappa profondément. Pour faire simple, ce mouchoir est la seule chose qui me reliait à mon passé oublié. Lorsque j'avais été recueillie par Oba et Oji, en dehors de mes vêtements, j'avais ce mystérieux mouchoir sur moi. Ce fin mouchoir blanc aux bords ondulés avec en son coin, soigneusement cousu de fil bleu foncé le mystérieux nom de « Noein-Hime ». Je n'avais absolument aucun doute sur ça, le soin tout particulier apporté à la confection de ce mouchoir, des bordures à sa douceur, en passant par l'écriture en lettres élégantes, était exactement le même que celui que Shu m'avait prêté hier. Qu'est-ce que cela pouvait bien signifier, nos passés étaient-ils liés d'une quelconque manière ? Bien que très faible, je voulais croire en cette hypothèse, je voulais m'accrocher en ce petit espoir d'en savoir plus sur mon passé. J'avais vraiment vu juste en disant que Shu savait des choses sur moi que je ne connaissais même pas. Ce soir, j'irais le voir pour éclaircir les choses. Au moment de quitter la salle, professeur Détestable eu la bonne idée de me barrer la route :
-Le verdict est tombé, me dit-il, toujours de son air arrogant et supérieur.
Cette simple phrase me jeta un immense froid. J'avais complètement oublié cette affaire.
-Regarde un peu ça si tu ne me crois pas, rajouta-t-il en me tendant sous le nez l'objet que j'aurais préféré ne jamais voir entre ses mains. Ne me regarde pas comme ça, cela était prévu depuis longtemps. A présent j'aurais le privilège de t'avoir moi aussi, comme au bon vieux temps, n'est-ce pas ?
-Comment oses-tu me dire ça Kusanagi, jamais je n'oublierais tout ce que tu m'as fait subir ...
-Bien, dans ce cas tu sauras à quoi t'attendre.

Sur le chemin du retour, malgré la pluie battante, je n'arrivais pas à trouver la force de me dépêcher. De toute façon, j'étais déjà trempée jusqu'aux os, alors à quoi bon. Peut-être que Shu avait finalement raison tout à l'heure en me disant que s'engager dans l'armée était pire que la mort. Je voulais mourir. Non. J'aurais voulu ne jamais exister. J'aurais voulu que ce monde n'ai jamais existé, que cette Terre n'ai jamais vu le jour, que les humains ne naissent jamais, que toute forme de vie soit annihilée. Que tout soit néant. Le froid pénétrant me força tout de même à me dépêcher de rentrer au pensionnat. Sans même prendre la peine de passer dans ma chambre pour me sécher et me changer, je frappais à sa porte. Encore une fois, je me montrais faible. A peine eu-t-il ouvert que je me jetais dans ses bras.
-Pardonne-moi d'être dépendante de toi ... m'excusais-je avant de fondre en larmes.
Existait-il une once d'espoir quelque part en ce monde capable de changer le cours des choses ?