Qui peut prédire l’avenir ? Il est incertain et parfois si prévisible qu’il entraîne les êtres dans une danse effrénée destinée à ne prendre fin qu’au dernier jour. Près de deux millénaires avant la Grande Guerre du Chaos, Ménadel ne portait en son sein que de nombreux peuples disparates, sans véritable nation. Un de ces peuples habitait la Vallée aux Roses. Un tel nom était dû au fait que, quelle que soit la saison, les gens y étaient toujours entourés de fleurs. C’était le paradis de ce monde en constante évolution, la preuve que la terre riche et féconde avait bien fait son travail, comme une promesse pour l’avenir. Une promesse bafouée, une fois de plus. Lorsque les barbares envahirent ce lieu bénit, les habitants ignorants se firent massacrer, un à un, jusqu’à ce qu’il devint évident que, esclaves, ils seraient bien plus utiles. Le peuple de la paix, qui n’avait jamais rien connu d’autre que la beauté et le doux parfum du printemps, se trouvait pris dans l’enfer de la guerre. Ainsi retenus prisonnier dans une geôle de mort et de laideur, ils périssaient peu à peu, s’effaçant comme neige au soleil.
Le chef de la horde barbare était un inconnu venu d’un lieu lointain et à la cruauté incomparable. Son harem, composé des plus belles esclaves, était constamment renouvelé au détriment du peuple impuissant. Parmi ces malheureuses à l’avenir incertain, certaines n’avaient jamais connu la liberté, nées dans l’enfer de la servitude. Aliane était à compter dans cette catégorie mais, contrairement aux autres, sa mère était parvenue à lui insuffler la flamme d’un espoir presque éteint. Le soir ou le Maître (c’est ainsi que l’appelaient ses hommes) la manda auprès de lui, la jeune esclave ne se soumit pas à ses désirs. Elle lui tenait tête, attisant sa colère avec des mots brûlants. Si elle n’avait été femme et esclave, il l’aurait tué sur-le-champ. Mais un chef comme lui ne pouvait se permettre cette faiblesse. Même l’ordre de la torturer serait accorder trop d’importance à cet être insignifiant. Qu’importait, ce défi lui plaisait et il n’aurait de répit qu’après l’avoir enfin écrasé sous sa botte. Au fil des jours, la volonté d’Aliane se raffermie. Chaque fois qu’elle se trouvait en présence du tyran, elle faisait front avec de plus en plus d’ardeur, si bien qu’elle devint la figure de proue d’une révolte émergente. C’est à partir de là que le petit jeu prit fin. Les enjeux devenaient bien trop coûteux, et le Maître ne pouvait prendre le risque de voir sa domination prendre fin juste à cause d’une esclave entêtée. Sûrement était-il trop tard pour prendre cette décision car, même si la cruauté de son adversaire augmentait de jour en jour, Aliane persistait dans sa rébellion, attisant la haine tenace du chef de horde. Au bout de quelques temps, cette haine devint si forte que, la seule chose que le despote pouvait désirer était de voir cet insecte souffrir pour l’éternité. Il fit venir le mage humain Onis qu’il avait placé à son service, et lui ordonna de trouver le sort le plus horrible qu’il soit afin de l’infliger à la garce qui lui tenait tête. Le mage soumis travailla sérieusement, orchestrant l’accomplissement de la souffrance éternelle jusqu’au moment ou il rencontra sa victime. Jeune, à l’apparence presque enfantine, ses cheveux noirs, sales et emmêlés, son visage salit, les haillons déchirés. Est-ce que c’était là ce qui effrayait son maître ? Cette image de misère pouvait-elle être condamnée sans remords ? En pensant à ce qui lui était réservé, Onis en pleurait presque. Lui, Onis, serait responsable de sa torture. Mais en voyant cet être si fragile il désirait devenir acteur de sa survie. Il voulait, pour une fois, faire preuve d’humanité. Un plan germait dans son esprit et, comme le complice inespéré, il révéla ses projets à Aliane, indifférente au sort auquel elle s’était préparée. Il endormirait la jeune fille grâce à un puissant sortilège tout en laissant croire à son maître que cela provoquerait une souffrance s’intensifiant au fil du temps.
Triomphant, le Maître observa le mage placer le corps de l’esclave dans une salle secrète. Onis sourit en voyant cela car la révolte était proche et, même s’il avait toujours été faible, le jour était venu où il devrait prouver sa valeur d’homme. Aliane ne resterait pas longtemps dans ce sommeil artificiel, il s’en fit la promesse. Dans quelques temps, elle serait à nouveau libre de rebâtir son pays avec ses frères pour que la Vallée aux Roses puisse refleurir.
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